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traiter magnifiquement, et d’être un hôte très-hospitalier. Son économie est d’une espèce bizarre, son principal objet étant d’examiner comment il s’y prendra pour être extravagant ; et pendant un jour il se privera de bifteck et d’une pinte d’Oporto, afin de pouvoir rôtir un bœuf tout entier, mettre en perce une barrique d’ale, et traiter tous ses voisins le lendemain.

Son train de maison est énormément coûteux, non pas tant par suite de quelque grand luxe extérieur que par la grande consommation de bœuf substantiel et de pudding, le nombre considérable de serviteurs qu’il nourrit et habille, et sa singulière disposition à payer follement de petits services. C’est bien le maître le meilleur et le plus indulgent, et pourvu que ceux qui le servent s’accommodent à ses bizarreries, flattent de temps à autre sa vanité, et ne le volent pas trop ouvertement à son nez, ils peuvent le traire dans la perfection. Tout ce qui vit sur lui semble prospérer et engraisser. Ses domestiques sont bien payés, bien nourris, et n’ont pas grand’chose à faire. Ses chevaux sont gras et nonchalants, et se pavanent tranquillement devant sa voiture de cérémonie ; et les chiens du logis dorment d’un sommeil paisible auprès de la porte — c’est tout au plus s’ils aboieraient contre un malfaiteur.

Sa résidence de famille est un vieux manoir crénelé que la vieillesse a fait grisonner, et de l’aspect le plus vénérable, bien que le plus piteux. Il n’a point été construit sur un plan régulier, mais est une accumulation de parties érigées dans des goûts et des siècles divers. Le centre porte des traces évidentes de l’architecture saxonne, et est aussi solide que de lourdes pierres et du vieux chêne anglais peuvent le rendre. Comme tout ce qui reste de ce style, il est plein de passages sombres, de détours sans fin et de chambres ténébreuses ; et bien que ces dernières aient été partiellement éclairées de nos jours, cependant il y a nombre d’endroits où il vous faut aller à tâtons dans l’obscurité. De temps à autre on a fait des additions à la construction originale, et il s’est opéré de grands changements ; des tours avec leurs créneaux ont été élevées pendant les guerres et les troubles ; des ailes bâties en temps de paix ; et de petites constructions et des communs se sont casés d’après le caprice ou en vue de la commodité des différentes générations, jusqu’à ce qu’elle soit devenue l’un des plus spacieux,