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sister à la tentation d’en donner une légère esquisse conforme à l’idée que j’en ai conçue.

John Bull, selon toute apparence, est un simple, un franc et positif garçon, avec beaucoup moins de poésie en lui que de prose riche. Il y a peu d’éléments romanesques dans sa nature, mais une forte dose de robuste sentiment naturel. Il excelle dans l'humour plus que dans l’esprit, est gaillard plutôt que gai, mélancolique plutôt que triste ; une larme va perler soudain à son œil, ou il va pousser un immense éclat de rire, à votre choix ; mais il hait le sentiment et n’a pas la moindre idée de la plaisanterie légère. C’est un bon compagnon, si vous lui permettez de se livrer à son humeur et de parler de lui ; et dans une querelle il mettra sa vie et sa bourse à la disposition d’un ami, quelque solidement qu’il puisse être étrillé.

À dire vrai, peut-être, sous ce rapport, est-il enclin à montrer un peu trop d’empressement. C’est un personnage d’une activité dévorante, qui ne pense pas seulement pour lui-même et sa famille, mais pour tout le pays d’alentour, et qui est très-généreusement disposé à se faire le champion de tout le monde. Il ne cesse d’offrir bénévolement ses services pour arranger les différends de ses voisins, et le prend très-mal s’ils entament quelque affaire d’importance sans lui demander son avis ; bien que rarement il se mêle de rendre quelque office amical de cette nature sans finir par être à couteaux tirés avec toutes les parties, et sans alors se plaindre amèrement de leur ingratitude. Il a malheureusement, pendant sa jeunesse, pris des leçons dans la noble science de l’escrime, et s’étant perfectionné dans l’usage de ses membres, de ses armes naturelles, étant passé maître pour la boxe et le maniement du bâton, il a, par suite, toujours eu depuis une vie agitée. Il ne peut entendre parler d’une querelle entre les plus éloignés de ses voisins qu’il ne se mette incontinent à jouer avec la tête de son bâton et à considérer si son intérêt ou son honneur n’exigent pas qu’il intervienne dans la dispute. Le fait est qu’il a si bien étendu ses relations d’amour-propre et de politique sur toute la contrée qu’aucun événement ne peut se produire sans porter atteinte, par quelque bout, à la trame légère de ses droits et de ses privilèges. Accroupi dans son petit domaine, avec ces filaments qui s’allongent au loin dans toutes les direc-