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tracé d’imagination. Les hommes sont portés à s’approprier les singularités qui leur sont continuellement attribuées. En Angleterre, les classes inférieures semblent merveilleusement captivées par le beau idéal qu’elles se sont formé de John Bull, et s’efforcent d’atteindre à l’immense caricature qu’elles ont continuellement devant les yeux. Malheureusement ils font quelquefois de leur fameux bullisme une excuse pour leurs préjugés ou leur rudesse ; et cela je l’ai spécialement remarqué parmi ces vrais amis du foyer et ces naïfs enfants du sol qui n’ont jamais, dans le cours de leurs migrations, cessé d’entendre le son des cloches de l’église de l’Arc. S’il se trouve que l’un d’eux est un peu libre dans son langage, enclin à laisser échapper d’impertinentes vérités, il avoue qu’il est un vrai John Bull, et qu’il dit toujours ce qu’il pense. Si de temps à autre il se laisse aller à un violent accès de colère à propos de rien, il vous fera observer que John Bull est un vieux bonhomme très-irascible, mais qu’aussi sa fureur se calme au bout d’un instant, et qu’il n’a pas pour deux liards de méchanceté. S’il fait preuve de rudesse de goût et d’insensibilité pour les raffinements étrangers, il rend grâce au ciel de son ignorance — il est un honnête John Bull, et n’a nul goût pour la friperie et les babioles. Son penchant même à se faire attraper par les étrangers, et à payer d’une façon extravagante pour des absurdités, prend son excuse sous le manteau de la munificence — car John est toujours plus généreux que sage.

C’est ainsi que, sous le nom de John Bull, il s’arrangera de manière à transformer chaque faute en mérite, et s’accusera franchement lui-même d’être le plus honnête garçon qui soit au monde.

Quelque peu ressemblant qu’ait pu, dans l’origine, être ce caractère, il s’est donc graduellement adapté à la nation, ou plutôt ils se sont adaptés l’un à l’autre ; et l’étranger qui désire étudier les particularités anglaises peut tirer de très-précieux renseignements des innombrables portraits de John Bull, tel qu’il est exposé aux vitrines des magasins de caricatures. Cependant il est du nombre de ces fréquents humoristes qui donnent continuellement le jour à de nouveaux portraits, et qui présentent autant d’aspects différents qu’ils changent de fois leur point de vue ; et quelque fréquemment qu’il ait été décrit, je ne puis ré-