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vité de ses enfants, de la perte de ses amis, du massacre de ses sujets, de la privation de tous rapports de famille, et qu’on le dépouillait de toutes les consolations extérieures en attendant que sa propre vie lui fut enlevée. »

Pour comble de malheur, ses compagnons eux-mêmes se liguèrent contre ses jours, afin de pouvoir, en le sacrifiant, acheter un honteux salut. Sur ces entrefaites, la trahison fit tomber un grand nombre de ses fidèles adhérents, les sujets de Wetamoe, princesse indienne de Pocasset, proche parente et confédérée de Philippe, entre les mains de l’ennemi. Wetamoe se trouvait alors au milieu d’eux ; elle essaya de s’échapper en traversant une rivière qui coulait près de là ; mais soit qu’en nageant elle se fût epuisée, soit qu’elle eût succombé au froid et à la faim, on la trouva morte et nue près du bord. La persécution ne s’arrêta point devant le tombeau. La mort même, ce refuge des malheureux, où les méchants cessent ordinairement de tourmenter leurs victimes, ne fut pas une protection pour cette infortunée, dont le grand crime était une affectueuse fidélité à son parent, à son ami. Son corps fut l’objet d’une ignoble et lâche vengeance ; la tête fut séparée du tronc et mise au bout d’une perche, et fut exposée à Taunton, sous les yeux de ses sujets prisonniers. Ils reconnurent aussitôt les traits de leur malheureuse reine, et furent tellement affectés de ce barbare spectacle, qu’ils en poussèrent, est-il dit, « les plus horribles, les plus diaboliques lamentations. »

Philippe s’était raidi contre les misères et les infortunes de tout genre qui l’avaient assailli ; mais la trahison de ses partisans sembla déchirer son cœur, le réduire au désespoir. On rapporte que depuis il n’eut plus un seul instant de gaieté et ne réussit plus dans aucun de ses desseins. La source de l’espérance était tarie, — son ardeur entreprenante éteinte. Il avait beau jeter les yeux autour de lui, tout était danger, ténèbres ; aucun regard où il pût lire la pitié, aucun bras pour lui apporter le salut. Suivi d’une petite poignée de compagnons demeurés fidèles à sa mauvaise fortune, le malheureux Philippe revint errer dans le voisinage de Mount Hope, l’ancienne résidence de ses pères. Là, il rôdait de côté et d’autre, comme un spectre, au milieu des scènes de sa puissance et de sa prospérité premières, maintenant privé