Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/316

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’on résolut de frapper un grand coup qui enveloppât les deux Sachems dans une ruine commune. En conséquence, des forces considérables furent à la fois mises sur pied dans le Massachussetts, Plymouth et le Connecticut, et envoyées dans le pays de Narrhaganset au cœur de l’hiver, quand les marais, étant pris par la glace, et dégarnis de leur feuillage, pouvaient être traversés avec une facilité comparative, et n’offraient plus aux Indiens un sombre et impénétrable abri.

Redoutant une attaque, Canonchet avait fait transporter la plus grande partie de ses munitions, ainsi que les vieillards, les infirmes, les femmes et les enfants de sa tribu, dans une puissante forteresse, où Philippe et lui avaient également concentré l’élite de leurs guerriers. Cette forteresse, réputée imprenable par les Indiens, était située sur un monticule, une espèce d’île, de cinq ou six acres, au milieu d’un marais ; elle avait été construite avec beaucoup plus de jugement et de science qu’il n’en est ordinairement déployé dans les fortifications indiennes, et témoignait du génie militaire de ces deux chefs de tribu.

Guidés par un Indien renégat, les Anglais pénétrèrent, à travers les neiges de décembre, jusqu’à ce fort, et fondirent par surprise sur la garnison. Le combat fut tumultueux et terrible. Les assaillants furent repoussés à leur première attaque, et plusieurs de leurs plus braves officiers tombèrent frappés au moment où, l’épée à la main, ils donnaient l’assaut à la forteresse. Une seconde tentative eut plus de succès. On fit un logement ; les Indiens furent repoussés de poste en poste. Ils disputèrent le terrain pied à pied, combattant avec la fureur du désespoir. La plus grande partie de leurs vétérans fut taillée en pièces ; et après une longue et sanglante lutte, Philippe et Canonchet, avec une poignée de guerriers échappés au massacre, abandonnèrent le fort et se réfugièrent dans les massifs de la forêt voisine.

Les vainqueurs mirent le feu aux wigwams et au fort : le tout fut bientôt la proie des flammes. Un grand nombre de vieillards, de femmes et d’enfants périt dans l’embrasement. Ce dernier outrage triompha du stoïcisme indien. Les forêts prochaines retentirent des hurlements de rage et de désespoir poussés par les guerriers fugitifs, quand ils virent la destruction de leurs demeures et qu’ils entendirent les cris d’agonie de leurs femmes et