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aller souffler les feux de la guerre parmi les tribus de Massachusetts, le pays de Nipmuck, et menacer la colonie de Connecticut.

Par ainsi Philippe devint un sujet d’appréhension universelle. Le mystère dont il s’enveloppait augmentait encore la terreur réelle qu’il inspirait. C’était un mal qui s’avançait dans l’obscurité, dont nul ne pouvait prédire la venue, et contre lequel nul ne savait quand il lui fallait se prémunir. Le pays tout entier était plein de rumeurs et d’alarmes. Philippe semblait presque doué du don d’ubiquité ; car sur quelque point de la frontière, laquelle couvrait un immense espace, qu’une irruption venue de la forêt eût lieu, Philippe passait pour en être le chef. Maintes idées superstitieuses circulaient aussi sur son compte. On le disait versé dans la nécromancie, et on le prétendait accompagné d’une vieille sorcière ou prophétesse indienne, qu’il consultait et qui l’aidait de ses charmes et de ses incantations ; ce qui, du reste, arrivait souvent aux chefs indiens, soit par le fait de leur propre crédulité, soit pour agir sur celle de leurs compagnons ; et l’influence du prophète et du visionnaire sur la superstition indienne a été pleinement démontrée par des exemples récents tirés des habitudes militaires chez les sauvages.

À l’époque où Philippe effectuait sa retraite de Pocasset, ses affaires étaient dans un état désespéré. Des combats fréquents avaient éclairci ses forces, et il était presque à bout de ressources. Dans cette triste occurrence, il trouva un ami fidèle dans Canonchet, Sachem chef des Narrhagansets. C’était le fils et l’héritier de Miantonimo, le grand Sachem, qui, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, après un honorable acquittement sur une accusation de complot, avait été mis à mort en dessous main, sur les instigations perfides des colons. « Il avait hérité », dit le vieux chroniqueur, « de tout l’orgueil et de toute l’insolence de son père, aussi bien que de sa haine contre les Anglais. » — Il fut, à coup sûr, l’héritier de ses insultes et de ses griefs, et le légitime vengeur de sa mort. Bien qu’il se fût abstenu de prendre une part active dans cette guerre sans espoir, cependant il reçut à bras ouverts Philippe et ses forces démantelées, et leur fit le plus généreux accueil, leur prêta le plus généreux appui. Ce fait attira tout d’abord sur lui l’inimitié des Anglais ; et