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pénétrables, pour tout autre qu’une bête fauve ou un Indien. Là, il ralliait ses forces, comme l’orage accumulant ses engins meurtriers au sein du nuage qui recèle la foudre, et tout à coup en sortait au moment et à l’endroit où on l’attendait le moins, portant le ravage et la terreur dans les villages. Il y avait de temps à autre des indices de l’approche de ces ravages, qui remplissaient l’esprit des colons de crainte et d’épouvante. Parfois le bruit d’une arme à feu se détachait au loin sur le silence de la forêt, où l’on savait qu’il n’y avait pas d’homme blanc ; le bétail qui s’y était aventuré revenait parfois blessé au logis ; parfois encore on voyait un Indien ou deux en raser la lisière et disparaître soudain, de même qu’on voit parfois l’éclair se jouer silencieusement sur le bord du nuage où se brasse la tempête.

Bien que poursuivi quelquefois et même cerné par les colons, Philippe échappait cependant toujours comme par miracle à leurs embûches, et, s’enfonçant dans le désert, se dérobait à toutes les recherches, à toutes les investigations, jusqu’au moment où il reparaissait sur quelque point tout à fait éloigné, pour porter la désolation dans la contrée. Au nombre de ses repaires étaient les grands marais ou marécages qui s’étendent dans quelques parties de la Nouvelle-Angleterre, composés de flottantes fondrières de vase épaisse et noire, embarrassés de halliers, de ronces, d’un luxe de mauvaises herbes, des troncs brisés et pourrissants d’arbres tombés, qu’ombrageaient de lugubres ciguës. Le peu de sécurité qu’offrait le point d’appui, et les labyrinthes obscurs de ces solitudes hérissées, les rendaient presque inaccessibles pour l’homme blanc, quoique l’Indien en sût franchir les détours avec l’agilité d’un daim.

Philippe fut une fois acculé dans l’un d’eux, le grand marais de Pocasset-Neck, avec une troupe de ses compagnons. Les Anglais n’osèrent pas le poursuivre, craignant de se hasarder dans ces sombres et effrayantes retraites, où ils pouvaient périr dans des bourbiers ou tomber sous les coups d’ennemis embusqués. Ils préférèrent investir l’entrée du Neck, et se mirent à élever un fort dans le but de se débarrasser de leur ennemi par la famine ; mais Philippe et ses guerriers traversèrent un bras de mer sur un radeau, dans le silence de la nuit, laissant derrière eux les femmes et les enfants, et s’échappèrent du côté de l’ouest, pour