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par amour du merveilleux, aura été accueilli avec cette avidité qui nous fait dévorer tout ce qui est terrible et mystérieux. La créance donnée partout à ces superstitieuses imaginations et le grave rapport qu’en fait un des savants de l’époque sont fortement caractéristiques du temps.

La nature de la lutte qui suivit fut celle qui trop souvent distingue la guerre entre les hommes civilisés et les sauvages. Du côté des blancs, elle fut conduite avec une habileté et un succès supérieurs, mais avec insouciance du sang versé et mépris pour les droits naturels de leurs antagonistes ; du côté des Indiens, elle fut soutenue avec le désespoir d’hommes intrépides en face de la mort, et qui n’avaient à attendre de la paix que l’humiliation, l’asservissement et la ruine.

Les événements de la guerre nous ont été transmis par un digne ecclésiastique d’alors, qui s’appesantit avec horreur et indignation sur tous les actes hostiles des Indiens, quelques justifiables qu’ils soient, mais en revanche a des applaudissements pour les plus sanguinaires atrocités des blancs. Philippe est réprouvé comme un meurtrier et un traître ; sans réfléchir que c’était un vrai prince, combattant vaillamment à la tête de ses sujets pour venger les injures faites à sa famille, pour ressaisir le pouvoir chancelant de sa race, et pour délivrer sa terre natale de l’oppression d’étrangers usurpateurs.

Le projet d’une révolte générale et simultanée, si réellement il avait été formé, était digne d’un esprit vaste, et, s’il n’avait été prématurément découvert, aurait eu peut-être les plus effrayantes conséquences. La guerre qui éclata alors ne fut qu’une guerre de détail, une simple succession d’exploits isolés et d’entreprises sans unité. Cependant elle met en relief le génie militaire et l’audacieuse bravoure de Philippe ; et toutes les fois que, dans les récits passionnés et pleins de préjugés qui nous en ont été laissés, nous pouvons arriver à des faits nus, nous le voyons déployer une vigueur d’esprit, une fécondité de ressources, un mépris de la douleur et de la fatigue, et une indomptable résolution, qui commandent notre sympathie et nos applaudissements.

Chassé des domaines de ses pères, acculé dans Mount Hope, il se jeta dans les profondeurs de ces immenses forêts, vierges de sentiers, qui bordaient les établissements et étaient presque im-