Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/312

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gnal d’une guerre ouverte ; les Indiens brûlaient de venger la mort de leur camarade, et le cri d’alarme des combats retentit dans toute la colonie de Plymouth.

Dans les vieilles chroniques de ces temps obscurs et mélancoliques apparaissent maintes indications de l’état maladif de l’esprit public. La sombre tristesse fille de l’abstraction religieuse, et l’étrangeté de leur situation au milieu de forêts dépourvues de sentiers, parmi des tribus sauvages, avaient disposé les colons aux idées superstitieuses, avaient rempli leur imaginations des effrayantes chimères de la magie et de la spectrologie. Ils avaient aussi une grande foi dans les présages ; et l’on nous apprend que les hostilités avec Philippe et ses Indiens avaient été précédées d’une foule de ces avertissements terribles qui sont les avant-coureurs des grandes calamités publiques. La forme parfaite d’un arc indien parut dans l’air à New-Plymouth, et fut considérée par les habitants comme une « sinistre apparition ». À Hadley, à Northampton, et dans quelques autres villes voisines, « on entendit la détonation d’une grosse pièce d’artillerie, suivie d’un tremblement de terre, et prolongée par un écho considérable[1]. » Pendant une calme matinée pleine de soleil, d’autres furent alarmés par une décharge de fusils et de mousquets ; les balles semblaient siffler au-dessus d’eux, et des roulements de tambour retentissaient dans l’air, qui paraissaient se diriger vers l’ouest ; d’autres s’imaginèrent entendre des chevaux galoper au-dessus de leurs têtes, et certains accouchements monstrueux qui eurent lieu vers ce temps-là remplirent dans quelques villes les superstitieux de lugubres pressentiments. Nombre de ces visions et de ces bruits sinistres peuvent être rattachés à des phénomènes naturels : aux lueurs boréales, qui ont un caractère saisissant dans ces latitudes ; aux météores qui font explosion dans l’air, à l’irruption accidentelle d’une rafale dans les cimes de la forêt, au craquement produit par un arbre qui tombe, un rocher qui s’entr’ouvre, et à ces autres bruits et échos étranges qui frapperont parfois si bizarrement l’oreille au milieu du profond silence des solitudes de la forêt. Tout cela aura effrayé quelques imaginations mélancoliques, et puis, exagéré

  1. Histoire du révérend Increase Mather.