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avantageux, par suite de leur adresse supérieure dans les trafics ; et ils gagnaient de vastes accessions de territoire au moyen d’hostilités aisément provoquées. Un sauvage, qui n’a reçu aucune culture, n’est jamais bien au fait des raffinements de la loi, au moyen desquels un préjudice peut être graduellement et régalement infligé. Les éléments en saillie sont tout ce d’après quoi il juge ; et c’était assez pour Philippe de savoir qu’avant l’usurpation des Européens ses compatriotes étaient les maîtres du sol, et que maintenant ils allaient devenir des vagabonds dans le pays de leurs aïeux.

Mais quels que puissent avoir été ses sentiments de rancune générale et son indignation personnelle à l’occasion du traitement éprouvé par son frère, il les refoula pour le moment, renouvela le traité conclu avec les colons, et résida paisiblement pendant de longues années à Pokanoket, ou, comme l’appelaient les Anglais, à Mount Hope[1], l’ancien centre de domination de sa tribu. Cependant les soupçons, qui n’étaient d’abord que vagues et indéfinis, commençaient à prendre une forme et de la consistance ; et il fut à la fin accusé de pousser les diverses tribus de l’est à se soulever à la fois et, par un effort simultané, à secouer le joug de leurs oppresseurs. Il est difficile, à cette distance, d’assigner d’une manière bien rigoureuse le degré de confiance que l’on doit à ces anciennes accusations contre les Indiens. Il y avait un penchant au soupçon, et une prédisposition aux actes de violence de la part des blancs, qui donnaient du poids et de l’importance aux contes les plus absurdes. Les dénonciateurs abondent là où la délation rencontre appui et récompense, et l’épée sort volontiers du fourreau quand son triomphe est certain, et qu’elle doit découper un empire.

La seule chose positive enregistrée contre Philippe est l’accusation d’un certain Sausaman, Indien renégat, dont la finesse naturelle avait été développée par une certaine éducation qu’il avait reçue parmi les colons, et qui avait changé deux ou trois fois de croyance et de maître, avec un laisser-aller qui dénotait l’élasticité de ses principes. Il avait été pendant quelque temps le conseiller et le secrétaire intime de Philippe, et avait chez lui

  1. Aujourd’hui Bristol, île de Rhodes.