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tion, et il ne vit pas sans inquiétude la guerre à mort qu’ils faisaient aux tribus avoisinantes. Il devait bientôt encourir leur inimitié, accusé qu’il était de comploter avec les Narrhagansets pour se soulever contre les Anglais et les expulser du pays. C’est chose impossible que de dire si cette accusation était justifiée par des faits, ou si elle s’appuyait sur de simples soupçons ; mais les violentes et cruelles mesures prises par les colons prouvent qu’ils avaient déjà conscience du rapide accroissement de leur puissance et commençaient à devenir inconsidérés et durs dans leurs traitements à l’égard des Indiens. Ils envoyèrent une troupe d’hommes armés pour se saisir d’Alexandre et l’amener devant leur cour. On le relança dans ses retraites de la forêt, et il fut surpris dans une maison de chasse, où, sans armes, il se reposait, avec une troupe de ses compagnons, des fatigues de la journée. La soudaineté de son arrestation, l’outrage fait à sa dignité de souverain, agirent avec tant de violence sur les sentiments irascibles de ce fier sauvage, qu’ils le jetèrent dans un accès de fureur. On lui permit de retourner auprès des siens, sous la condition qu’il enverrait son fils comme gage de sa comparution ; mais le coup qu’il avait reçu lui fut fatal, et avant qu’il eût atteint sa demeure il succomba aux angoisses d’un esprit blessé.

Alexandre eut pour successeur Metamocet, ou le roi Philippe, comme l’appelaient les colons, à cause de son esprit élevé, de son caractère ambitieux. Tout cela, joint à son énergie, à sa hardiesse bien connues, avait fait de lui l’objet d’une grande jalousie, d’une grande appréhension, sans compter qu’il était accusé d’avoir toujours couvé une haine secrète et implacable contre les blancs. Et il doit très-probablement et très-naturellement en avoir été ainsi : il les considérait comme n’ayant été dans l’origine que de francs usurpateurs du pays, qui avaient spéculé sur leur faiblesse et grossissaient une influence funeste à la vie sauvage. Il voyait la race tout entière de ses compatriotes s’évanouir devant eux, leurs territoires glisser entre leurs mains ; leurs tribus affaiblies, dispersées, réduites. On dira peut-être que dans l’origine le sol avait été acheté par les colons ; mais qui ne sait pas la nature des achats pendant la première période des colonisations ? Les Européens faisaient toujours des marchés