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taire, mais indompté, à travers le sein immense du désert. Ses expéditions peuvent rivaliser pour la distance et les dangers avec le pèlerinage du dévot ou la croisade du chevalier errant. Il traverse de vastes forêts, exposé aux hasards que peuvent lui faire courir la maladie en face d’elle-même, des ennemis cachés dans l’ombre, et l’inexorable famine. Les lacs orageux — ces grandes mers intérieures — ne sont point un obstacle à ses courses vagabondes : dans son léger canot d’écorce, il se joue comme une plume sur leurs vagues, et vole avec la rapidité d’une flèche en descendant les courants mugissants des fleuves. Sa subsistance même se cueille au milieu des fatigues et des périls. Il obtient ses aliments au prix des labeurs et des dangers de la chasse ; il s’enveloppe dans les dépouilles de l’ours, de la panthère et du buffle, et s’endort au milieu du tonnerre de la cataracte.

Aucun héros des temps anciens ou modernes ne surpasse l’Indien dans son sublime mépris de la mort et le courage avec lequel il en essuie les plus cruelles atteintes. Là nous le voyons vraiment s’élever au-dessus de l’homme blanc, par suite de son éducation particulière. Ce dernier court affronter un glorieux trépas à la bouche du canon ; le premier contemple son approche d’un œil tranquille et l’endure triomphant, au milieu des tortures variées que lui infligent les ennemis qui l’entourent, et de l’agonie prolongée du bûcher. Il tient même à honneur de railler ses bourreaux, de défier leur génie pour les supplices ; et pendant que les flammes dévorantes s’attaquent au principe même de sa vie, que sa chair se racornit et se détache des muscles, il pousse son dernier chant de triomphe, où respire l’audace d’un cœur indompté, et demande à l’horizon les esprits de ses pères pour leur faire constater qu’il meurt sans laisser échapper un gémissement.

En dépit des nuages que les premiers historiens ont accumulés autour du caractère des malheureux naturels, il s’en échappe parfois tout à coup de brillantes lueurs, qui jettent sur leurs mémoires une sorte de mélancolique éclat. De temps à autre on rencontre, dans les grossières annales des provinces de l’est, des faits qui, bien que rapportés sous les couleurs de l’hypocrisie et du préjugé, parlent cependant d’eux-mêmes, et sur lesquels on arrêtera ses applaudissements et sa sympathie quand le préjugé se sera évanoui.