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et ceci, nécessairement, doit s’effectuer par la ruse. Ce courage chevaleresque qui nous porte à mépriser les suggestions de la prudence et à nous précipiter au-devant d’un péril certain, est fils de la société, produit par l’éducation. Il est honorable, parce que c’est, dans le fait, le triomphe des sentiments élevés sur la répugnance instinctive que nous avons pour la douleur, et sur ces aspirations vers le bien-être et la sécurité personnels que la société a réprouvées comme ignobles. Il est avivé par l’orgueil et la crainte de la honte ; et c’est ainsi que la peur d’un mal réel est surmontée par la peur plus grande d’un mal qui n’existe que dans l’imagination. Il a encore été choyé, stimulé par différents moyens. Il a servi de thème aux chants belliqueux et aux récits chevaleresques. Le poëte et le musicien se sont complus à répandre sur lui les splendeurs de la fiction ; et l’historien lui-même a fait oubli de l’austère gravité du récit pour emboucher en son honneur le clairon de l’enthousiasme. Les ovations, les pompes éclatantes, ont été sa récompense : des monuments sur lesquels l’art a épuisé ses secrets et l’opulence ses trésors ont été érigés pour éterniser la reconnaissance et l’admiration d’un peuple. Ainsi artificiellement excité, le courage s’est élevé à un degré d’héroïsme extraordinaire… et factice ; et, drapée dans le glorieux éclat qui s’attache à la guerre, cette qualité turbulente est même parvenue à éclipser nombre de ces paisibles mais inappréciables vertus qui ennoblissent silencieusement le caractère de l’homme et grossissent le flot des félicités humaines.

Mais si le courage intrinsèque consiste à braver le péril et la douleur, la vie de l’Indien en est un déploiement continu. Il vit dans un état d’hostilité, de risque perpétuels. Les dangers et les hasards sont homogènes à sa nature, ou plutôt semblent nécessaires pour éveiller ses facultés et donner de l’intérêt à son existence. Environné de tribus hostiles, dont la manière de guerroyer consiste dans les embûches et les surprises, il est toujours préparé pour le combat, et vit, pour ainsi dire, les armes à la main. De même que le navire se trace, dans une effrayante solitude, sa route à travers les solitudes de l’océan ; — de même que l’oiseau se mêle aux nuages et aux ouragans, et, dans sa course, fend de ses ailes, simple point dans l’espace, les plaines sans chemins de l’air, — de même l’Indien poursuit sa marche, silencieux, soli-