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seins t’allaitèrent, ces mains t’ont réchauffé et t’ont souvent présenté la nourriture. Peux-tu donc oublier de tirer vengeance de ces hommes qui, pleins de mépris pour nos antiquités et nos honorables coutumes, ont mutilé mon monument d’une façon si cruelle ? Vois : maintenant la tombe du Sachem gît tristement comme celle du vulgaire, mutilée par une ignoble race. Ta mère se lamente et implore ton aide contre ce peuple de larrons qui a depuis peu envahi notre sol. Si cela se tolère, je ne reposerai pas tranquille dans mon éternelle demeure. » Cela dit, l’esprit s’évanouit. Pour moi, baigné de sueur, incapable de prononcer la moindre parole, je cherchai à reprendre quelque force, à rappeler mes esprits qui avaient fui, et me déterminai à vous demander conseil et assistance. »

J’ai donné à cette anecdote une certaine longueur parce qu’elle tend à prouver que ces.actes d’hostilité soudaine qui ont été attribués au caprice et à la perfidie peuvent souvent provenir de motifs profonds et généreux que notre inattention pour le caractère et les coutumes indiens nous empêche d’apprécier comme il faut.

Une autre source de violentes bordées contre les Indiens est leur cruauté à l’égard des vaincus. Elle eut son origine partie dans la politique, partie dans la superstition. Les tribus, bien qu’appelées quelquefois nations, ne furent jamais si formidables par le nombre que la perte de plusieurs guerriers ne fût par elles vivement sentie ; il en était particulièrement ainsi quand les rencontres avaient été fréquentes, et maint exemple apparaît dans l’histoire indienne d’une tribu ayant été longtemps redoutable à ses voisins, et rompue, dispersée, par suite de la capture et du massacre de ses principaux combattants. La tentation était donc bien forte, pour le vainqueur, d’être sans pitié, non tant pour satisfaire un cruel désir de vengeance qu’afin de pourvoir à sa sécurité future. Les Indiens avaient aussi cette superstitieuse croyance, ordinaire parmi les nations barbares et également en honneur parmi les anciens, que les mânes de leurs amis tombés pendant le combat étaient adoucis par le sang des captifs. Mais il faut dire que les prisonniers qui ne sont pas sacrifiés sont adoptés dans les familles à la place des morts, et qu’on a pour eux la confiance et l’affection de parents et d’amis ; que dis-je ? si hospitalier et si