Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/296

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a énervé leur force, multiplié leurs maladies, et greffé sur leur barbarie native les vices dégradants de la vie artificielle. Elle leur a donné mille besoins superflus, et en même temps elle a diminué leurs moyens d’existence pure. Elle a chassé devant elle le gibier, qui détale au bruit de la hache, devant la fumée des établissements, et cherche un asile dans les profondeurs de forêts plus lointaines et de déserts encore inexplorés. C’est ce qui fait que souvent les Indiens de nos frontières sont purement et simplement les débris, les ombres de tribus jadis puissantes qui sont demeurées dans le voisinage des établissements, et sont descendues à une précaire et vagabonde existence. La pauvreté, la pauvreté qui se lamente et qui n’espère pas, chancre de l’âme inconnu dans la vie sauvage, corrode leurs esprits et flétrit toute libre et noble qualité de leur nature. Ils s’adonnent à la boisson, deviennent indolents, faibles, voleurs et pusillanimes. Ils rôdent comme des vagabonds autour des établissements, au milieu d’habitations spacieuses pleines d’un confortable savant ; et tout le résultat qu’ils obtiennent, c’est d’être amenés à comparer, à sentir plus vivement la misère de leur propre condition. Le luxe déploie devant eux sa table immense, mais ils sont exclus du banquet. L’abondance sourit partout dans la plaine, mais ils meurent de faim au milieu de ses trésors ; le désert tout entier a fleuri, s’est transformé en jardin, mais ils sentent qu’ils sont les reptiles qui l’infestent.

Que leur condition était différente alors qu’ils étaient les maîtres incontestés du sol ! Leurs besoins étaient peu nombreux, et les moyens de les satisfaire à leur portée. Ils voyaient chacun autour d’eux partager le même lot, endurer les mêmes fatigues, se nourrir des mêmes aliments, se couvrir des mêmes rudes vêtements. Nul toit ne s’élevait alors qui ne fût ouvert à l’étranger sans abri ; la fumée n’ondulait pas entre les arbres qu’il ne fût le bienvenu à s’asseoir au coin du foyer, à partager le repas du chasseur. « Car, dit un vieil historien de la Nouvelle-Angleterre, leur vie est tellement exempte de soucis, et ils sont de plus si aimants, qu’ils considèrent les choses qu’ils possèdent comme des biens communs, et sont en conséquence si pleins de compassion que, plutôt que de voir quelqu’un mourir de besoin, ils aimeraient mieux mourir tous avec lui. C’est ainsi qu’ils