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Je ne veux censurer personne, mais, à coup sûr, si les habitants de Liverpool avaient été aussi pénétrés qu’il convenait de ce qu’ils devaient à Roscoe et de ce qu’ils se devaient à eux-mêmes, sa bibliothèque n’aurait jamais été vendue. Certainement on peut donner pour leur justification des raisons excellentes aux yeux du monde, qu’il serait difficile de combattre au moyen d’arguments qui sembleraient de pure fantaisie. Quoi qu’il en soit, c’était, à mon avis, une de ces occasions comme il s’en présente rarement, de ranimer un noble esprit luttant contre le malheur, par une des marques les plus délicates, mais les plus significatives, de la sympathie publique. Du reste, je sais qu’il est difficile d’estimer à sa juste portée un homme de génie que l’on a journellement sous les yeux. Pour nous, alors, il reste dans la foule et se confond avec elle. Ses grandes qualités perdent leur nouveauté ; les éléments communs qui forment la base, même des plus grands caractères, nous deviennent trop familiers. Il est des concitoyens de Roscoe qui peuvent ne voir en lui que le négociant, d’autres que l’homme politique ; tous le trouvent occupé de la même manière qu’eux-mêmes, et, peut-être, dépassé par eux sous certains rapports, au point de vue matériel. Cette simplicité de caractère dégagée de toute ostentation et cette amabilité qui ajoutent une grâce inexprimable à la supériorité réelle peuvent même lui faire perdre dans l’opinion de quelques esprits grossiers, qui ne savent pas que le vrai mérite n’éblouit jamais et qu’il est sans prétention. Mais l’homme de lettres qui parle de Liverpool en parle comme de la résidence de Roscoe. Le voyageur intelligent qui le visite s’enquiert où l’on peut voir Roscoe. C’est le fanal littéraire de l’endroit ; il en indique l’existence au savant éloigné. Comme la colonne de Pompée, à Alexandrie, il est seul debout, drapé dans sa majesté.

Voilà le sonnet auquel il est fait allusion dans le précédent article, et que Roscoe adressait à ses livres en les quittant. Si quelque chose peut ajouter à l’effet produit par la pureté de sentiment et l’élévation de pensée qui s’y révèlent, c’est la convic-