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res. Le bêlement des agneaux nouveau-nés s’entendait vaguement dans la campagne ; le passereau jetait par intervalles son cri perçant sur les toits de chaume et les haies en fleur ; le rouge-gorge lançait une note moins désolée dans sa dernière plaintive chanson d’hiver, et l’alouette, s’élançant du sein parfumé de la prairie, se perdait au loin dans la nue brillante et floconneuse, versant et répandant des torrents de mélodie. Comme je suivais de l’œil ce petit chantre de la plaine, qui montait toujours plus haut, plus haut encore, jusqu’à ce que son corps ne fût plus qu’un simple point se détachant sur la blanche feuille du nuage, alors que l’oreille était encore pleine de sa musique, cela me remit en mémoire l’exquise petite chanson de Shakspeare dans Cymbeline :


L’alouette déjà bat le ciel de ses chants,
Et Phœbus à monter commence ;
Il va désaltérer ses coursiers haletants
Aux sources qu’en son sein la fleur pour eux condense.

Des boutons d’or voici que les yeux clignotants
S’ouvrent au jour qui les inonde…
Avec tout ce qu’on voit d’admirable en ce monde,
Ô ma douce maîtresse, ouvre tes yeux charmants.


Vraiment, ici, tout le pays qui vous entoure est une terre poétique : tout s’y lie au souvenir de Shakspeare. Mon imagination voyait dans chaque cabane quelque lieu favori de son enfance, où il avait acquis sa connaissance intime de la vie et des manières rustiques, et entendu ces récits légendaires et ces superstitions primitives qu’il a si magiquement entrelacés à ses drames : car nous savons que, de son temps, c’était l’amusement du peuple, pendant les soirées d’hiver, « de s’asseoir autour du feu et de narrer joyeux récits de chevaliers errants, de reines, d’amants, de seigneurs et de grandes dames, de géants, de nains, de voleurs, d’escrocs, de sorcières, de fées, de revenants et de moines[1]. »

  1. Scot, dans son Aperçu de la Magie, énumère une foule de ces imaginations de coin du feu. « Et elles (les servantes de nos mères) nous ont si fort effrayés avec leurs fantômes, leurs esprits, leurs sorcières, leurs démons, leurs lutins, leurs furies, leurs fées, leurs satyres, leurs pans, leurs faunes, leurs sirènes ; tant rebattu les oreilles des tritons, des centaures, des nains, des géants, des diablotins, des nymphes, des magiciens, des enfants supposés, des incubes, de Robin bon diable, de leur cavale, de l’homme dans le chêne, du chariot infernal, du canard de feu, des esprits follets, de Tom Pouce, des spectres, et autres semblables épouvantails, que nous en avions même peur de notre ombre. »