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erraient autour de l’emplacement, et mon imagination les transforma en serviteurs de la loi. C’était comme si, visitant quelque fontaine classique dont les ondes pures jaillissaient autrefois au milieu d’un bois sacré, je l’avais trouvée tarie et couverte de poussière, parsemée de lézards et de crapauds couvant sur les marbres brisés.

Je m’informai de ce qu’était devenue la bibliothèque de Roscoe, qui consistait seulement en quelques livres étrangers, de la plupart desquels il avait tiré des matériaux pour ses histoires italiennes. Elle avait passé sous le maillet du commissaire-priseur : elle s’était dispersée. Les bonnes gens du voisinage s’étaient élancés sur cette proie comme à la suite d’un naufrage on se précipite sur les débris d’un noble vaisseau jeté à la côte. Si une pareille scène admettait le mélange du comique, nous pourrions trouver quelque chose d’assez grotesque à cette étrange irruption dans les domaines du savoir : des pygmées fouillant dans l’arsenal d’un géant et se disputant la possession d’armes qu’ils ne pourraient brandir. Nous pourrions nous représenter un groupe de spéculateurs délibérant, le calcul sur le front, au-dessus de la curieuse reliure et des marges enluminées de quelque vieil écrivain ; et l’air de curiosité intense, mais trompée, de quelque heureux acheteur cherchant à comprendre quelque chose de ces livres dont il s’était assuré la possession, mais qui pour lui étaient lettres closes.

C’est un grand incident dans l’histoire des infortunes de Roscoe, et qui ne peut manquer d’intéresser les esprits studieux, que sa séparation d’avec ses livres tant aimés. Ce fut un coup violent, un chagrin assez profond pour éveiller sa muse jusqu’alors endormie. Il n’y a que celui qui étudie qui sache combien, dans l’adversité, nous deviennent chers ces compagnons muets, et pourtant bien éloquents, de nos pensées pures et de nos heures d’innocence. Alors que tout ce qui nous entoure de mondain est pour nous sans valeur, seuls ils conservent invariablement leur prix. Quand les amis se refroidissent, que le commerce des intimes languit et s’exhale en fades politesses, en lieux communs, seuls ils gardent l’air qu’ils avaient dans des jours plus heureux, et nous consolent par cette véritable amitié qui ne trompa jamais l’espérance, qui ne délaissa jamais la douleur.