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l’était contre les vicissitudes orageuses de la vie, et florissant au grand soleil de la faveur tant populaire que royale.

L’inscription qui se trouve sur la tombe n’a pas été sans effet. Elle a empêché qu’on ne transportât ses restes du sein de son lieu natal à l’abbaye de Westminster, ainsi qu’on l’avait d’abord projeté. Il y a quelques années aussi, comme des manœuvres travaillaient près de là à percer une voûte, la terre s’éboula de manière à laisser un espace vide formant une espèce d’arcade, par lequel on aurait pu pénétrer dans son tombeau. Personne, cependant, n’eut l’audace de toucher à ses restes, si puissamment gardés par une malédiction ; et de peur que quelque oisif ou quelque curieux, ou bien encore quelque collectionneur de reliques, ne fût tenté de commettre des déprédations, le vieux sacristain fit pendant deux jours sentinelle dans cet endroit, jusqu’à ce que la voûte fût terminée et l’ouverture refermée. Il me dit qu’il avait eu la hardiesse de regarder par le trou, mais qu’il n’avait vu ni os ni cercueil, rien que de la poussière. C’était quelque chose, pensai-je, que d’avoir vu la poussière de Shakspeare.

Près de sa tombe sont celles de sa femme, de sa fille de prédilection, madame Hall, et de quelques autres membres de sa famille. Sur une autre tombe voisine est une effigie, de grandeur naturelle, de son vieil ami John Combe, d’usurière mémoire, sur lequel, dit-on, il écrivit une épitaphe burlesque. Il y a encore d’autres monuments autour, mais l’esprit refuse de s’arrêter sur quoi que ce soit qui ne se rattache pas à Shakspeare. Son souvenir remplit ces lieux ; l’édifice tout entier semble n’être que son mausolée. Les sentiments, n’étant plus réprimés, contrariés par le doute, s’épanouissent ici dans une sécurité parfaite : d’autres vestiges de lui peuvent être faux ou douteux, il y a ici une évidence palpable, une certitude absolue. Comme je foulais le pavé retentissant, il y avait quelque chose d’intense et de pénétrant dans l’idée que, bien véritablement, les restes de Shakspeare se réduisaient en poussière sous mes pieds. Il se passa longtemps avant que je pusse prendre sur moi d’abandonner la place ; et comme je traversais le cimetière, je cueillis une branche sur l’un des ifs, seule relique que j’aie rapportée de Stratford.