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bien au-dessus de la portée de ma pitié. Ceux qui vivent seulement pour le monde, et dans le monde, peuvent être abattus par les coups de l’adversité ; mais un homme tel que Roscoe, des revers de fortune ne peuvent rien sur lui. Ils n’ont pour effet que de lui faire déployer toutes les ressources de son esprit ; de le renfermer dans la sphère plus haute de ses propres pensées, dont les meilleurs négligent parfois la société, portés qu’ils sont à courir au dehors chercher de moins dignes compagnons. Il ne dépend pas du monde qui l’entoure. Il vit avec le passé et la postérité ; avec le passé, dans une douce communion, au milieu d’une studieuse retraite ; avec la postérité, dans ses généreuses aspirations vers la renommée que dispense l’avenir. Pour un esprit de cette trempe la solitude est le suprême bonheur. C’est alors qu’il est visité par ces méditations sublimes qui sont l’aliment naturel des grandes âmes, et que le ciel laisse tomber, comme une manne, sur le désert de ce monde.

Pendant que mes sentiments à l’égard de Roscoe avaient encore toute leur fraîcheur, j’eus la bonne fortune de recueillir sur lui de plus amples informations. Je chevauchais, en compagnie d’un gentleman, dans le but de voir les environs de Liverpool, quand il se détourna et franchit une barrière. Après avoir parcouru une légère distance sur des terrains d’agrément, nous atteignîmes une maison spacieuse, bâtie en pierres de taille, dans le style grec. Elle n’était pas du goût le plus pur ; néanmoins elle avait un air d’élégance, et la situation en était délicieuse. Sur un plan incliné fuyait une belle pelouse garnie de bouquets d’arbres, disposés de manière à former une suite de paysages très-divers au milieu de cette douce et fertile campagne. On voyait la Mersey faisant serpenter sa large et tranquille nappe d’eau à travers d’immenses prairies verdoyantes ; magnifique horizon que bordaient les montagnes du pays de Galles, dont les nuages et la distance adoucissaient les tons.

C’était, aux jours de sa prospérité, la résidence favorite de Roscoe. Elle avait été le siége d’une élégante hospitalité, une retraite littéraire. La maison était alors silencieuse et déserte. Je vis les fenêtres du cabinet d’étude, qui dominait le beau paysage dont je parlais tout à l’heure. Les fenêtres étaient fermées, — la bibliothèque n’y était plus. Deux ou trois individus assez laids