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toujours été la favorite en pied au cabaret de la Demi-Lune et de la Grappe de Raisin depuis qu’elle fut composée ; il va même jusqu’à affirmer que ses prédécesseurs ont souvent eu l’honneur de la chanter devant la grande et la petite noblesse aux mascarades de Noël, lorsque la Petite-Bretagne était dans toute sa gloire[1].

Cela fait du bien au cœur d’entendre, par une nuit de bombance, les cris de joie, les lambeaux de chansons et de temps à autre, éclatant en chœur, une demi-douzaine de voix discordantes qui s’échappent de cette folle maison. Dans ces moments la rue forme un cordon d’auditeurs, lesquels jouissent d’un bonheur égal à celui qui consiste à plonger des yeux avides dans l’étalage d’une confiserie ou à renifler à plein nez les exhalaisons d’une boutique de rôtisseur.

  1. Comme la Profession de foi de mon hôte de la Demi-Lune peut n’être pas familière à la majorité des lecteurs, et que c’est un spécimen des chansons en vogue dans la Petite-Bretagne, je la joins ci-dessous dans son orthographe originale (*). Je ferai observer que le club tout entier s’unit toujours pour le refrain au milieu d’un formidable bruit de coups de poings sur la table et d’un grand fracas de pots d’étain : —


    La viande n’est pas ce que j’aime,
    Mon estomac n’est pas fort bon ;
    Mais je puis boire, oh ! ma soif est extrême,
    Jusques à perdre la raison.
    Déguenillé, de ce ne prenez cure,
    Je n’ai jamais contre le froid pesté,
    Car je sais bien me forger une armure
    De vieille bière en bonne qualité.

    Refrain.
    Devant, derrière, offre ta nudité ;
    Que chaque pied, chaque main gèle ;
    Mais le ventre, qu’il ait en bonne qualité
    De l’ale vieillie ou bien nouvelle.

    Je n’ai pas de rôtis, mais de brunes rôties,
    Une pomme sauvage en la cendre cuisant.
    Il ne me faut des tables bien servies ;
    Un peu de pain, c’est suffisant.
    Il gèle, il neige, il vente, eh ! je m’en raille,
    Pour redouter que leur fureur m’assaille
    Car je me suis trop chaudement lesté
    De vieille bière en bonne qualité.

    Refrain.
    Devant, derrière, offre ta nudité, etc.

    Ma femme Tib, qui ne fait davantage
    Fi d’un pot d’ale couronné,
    Parfois en boit au point que son visage
    En est de pleurs tout sillonné.
    Lors elle dit, me passant la bouteille,
    Un vieux buveur en ferait seul autant :
    « Tiens, mon chéri, j’en ai bien suffisant ;
    « L’ale est aussi bonne que vieille. »
     
    Refrain.
    Devant, derrière, offre ta nudité, etc.
     
    Laissez-les boire ; en compagnons joyeux,
    Que leur chef tremble et qu’ils clignent des yeux
    Qu’à loisir ils goûtent la joie
    Que l’ale devant nous déploie.
    À vos femmes, à vous, Dieu donne de longs jours,
    Braves gens rinceurs de bouteilles,
    Ou leur faisant faire de nombreux tours,
    Qu’elles soient jeunettes ou vieilles.

    Refrain.
    Devant, derrière, offre ta nudité, etc.

    (*) Il va sans dire que ce dernier membre de phrase ne s’applique point à la chanson traduite. (Note du traducteur.)