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et sous nos propres yeux, qui surpasse tous les signes et les calculs des astrologues. » Depuis que ces girouettes prophétiques avaient ainsi posé leurs têtes l’une contre l’autre, des événements merveilleux s’étaient déjà produits. Le bon vieux roi, encore qu’il eût vécu quatre-vingt-deux ans, avait tout d’un coup rendu l’âme ; un autre roi était monté sur le trône ; un duc de sang royal était mort subitement — un autre, en France, avait été assassiné ; il y avait eu des meetings radicaux dans toutes les parties du royaume ; les scènes sanglantes de Manchester, le grand complot de Cato street ; — enfin la reine était revenue en Angleterre ! Tous ces événements sinistres sont énumérés par M. Skryme avec un air mystérieux et un lugubre branlement de tête, et, pris avec ses drogues et s’associant dans le cerveau de ses auditeurs aux monstres marins empaillés, aux serpents en bocaux et à sa propre figure, qui est un frontispice de tribulations, ils ont mis beaucoup de noir dans l’âme des habitants de la Petite-Bretagne. Aussi secouent-ils la tête chaque fois qu’ils passent devant l’église de l’Arc, et font-ils la remarque qu’ils n’ont jamais pensé qu’il résulterait rien de bon de la démolition de ce clocher, qui, dans l’ancien temps, n’annonçait jamais que de joyeuses nouvelles, comme l’histoire de Whittington et de son chat en fait foi.

L’oracle rival de la Petite-Bretagne est un riche marchand de fromages qui habite un fragment de l’une de ces vieilles maisons seigneuriales dont nous avons parlé, et est aussi somptueusement logé qu’un charançon à panse rebondie au milieu de l’un de ses propres fromages de Cheshire. C’est, dans le fait, un homme d’un rang et d’une importance considérables, et sa renommée s’étend jusque dans Huggin-Lane et Lad-Lane, et même jusqu’à Aldermanbury. Son opinion est d’un grand poids en ce qui touche les affaires d’État, ayant lu les journaux du dimanche pendant ces derniers cinquante ans, voire même le Magasin du Gentleman, l’Histoire d’Angleterre de Rapin et la Chronique maritime. Sa tête est meublée de maximes inestimables qui ont pendant des siècles subi l’épreuve du temps et de l’usage. C’est sa ferme conviction qu’il est « moralement impossible », tant que l’Angleterre restera fidèle à elle-même, que rien puisse l’ébranler ; et il a beaucoup à dire au sujet de la dette nationale, laquelle, de façon ou