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n’en défendent pas moins vigoureusement, comme l’antique petite noblesse, leurs prétentions à une égale antiquité. Celles-ci ont pignons sur rue, de grandes fenêtres cintrées, avec des vitres en losanges dans des châssis de plomb, des sculptures grotesques, et des entrées de portes voûtées très-basses[1].

C’est dans ce très-vénérable et très-abrité petit nid que j’ai passé tranquille plusieurs années de ma vie, confortablement logé au second étage d’une des plus petites, mais des plus antiques maisons. Mon cabinet est une vieille chambre lambrissée, à petits panneaux, et garnie d’une foule de meubles hétérogènes. J’ai un respect tout particulier pour trois ou quatre chaises à dos élevés, aux pieds en forme de griffes, recouvertes de brocart terni, qui portent écrit qu’elles ont vu des jours meilleurs et qui ont sans doute figuré dans quelques-uns des vieux palais de la Petite-Bretagne. Elles me semblent faire bande à part, et regarder du haut d’un souverain mépris leurs voisines à fond de cuir ; comme j’ai vu de petits nobles ruinés porter la tête haute au milieu de la société plébéienne avec laquelle ils étaient réduits à frayer. Toute la façade de mon cabinet est prise par une fenêtre cintrée, sur les carreaux de laquelle sont tracés les noms des occupants antérieurs pendant maintes générations, entremêlés de lambeaux de poésie d’amateur très-insignifiante écrits en caractères que je puis à peine déchiffrer et qui portent aux nues les charmes de mainte beauté de la Petite-Bretagne, laquelle, il y a longtemps, bien longtemps, a fleuri, s’est flétrie et s’est évanouie. Comme je suis un oisif personnage, sans occupation apparente, et que je paye régulièrement ma note chaque semaine, je suis regardé comme le seul gentleman indépendant du voisinage ; et, comme j’étais curieux de connaître la situation intérieure d’une communauté en apparence si renfermée en elle-même, j’ai fait en sorte de me frayer un chemin au milieu de toutes les passions et de tous les mystères de l’endroit.

La Petite-Bretagne peut véritablement s’appeler le cœur du cœur de la Cité ; la dernière citadelle du vrai John Bullisme.

  1. Il est évident que l’auteur de cette intéressante communication a renfermé sous ce titre général de La Petite-Bretagne plusieurs de ces petites ruelles qui sont la dépendance immédiate de Cloth Fair.