Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/252

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ner ainsi tout à coup du grand chemin de la vie affairée, où l’argent est le but, et de venir s’asseoir parmi ces sépulcres pleins d’ombre, où tout est crépuscule, poussière, oubli.

Dans une tournée d’observation subséquente, je me trouvai en face d’un autre de ces débris d’un « monde éteint », captif au cœur de la Cité. J’errais depuis quelque temps le long de rues tristes et monotones, dénuées de quoi que ce soit qui fût de nature à frapper les yeux ou à réveiller l’imagination, quand j’aperçus devant moi un vestibule gothique d’une poudreuse antiquité. Il donnait sur un vaste rectangle formant la cour extérieure d’une majestueuse construction gothique, dont la porte était hospitalièrement ouverte.

C’était évidemment un édifice public, et comme j’étais à la chasse aux antiquités, je m’y aventurai, bien que d’un pas circonspect. Ne rencontrant personne qui me tançât pour mon intrusion ou qui s’y opposât, je continuai à marcher jusqu’à ce que je me trouvasse dans une grande salle à voûte haute et cintrée et à galerie de chêne, le tout d’architecture gothique. À un bout de la salle était une immense cheminée, avec des bancs de bois de chaque côté ; à l’autre bout, une plate-forme exhaussée, ou dais, le siége d’honneur, au-dessus de laquelle était le portrait d’un homme revêtu d’un costume antique, avec une longue robe, une fraise et une vénérable barbe grise.

Tout dans ce lieu avait un air de calme monastique et d’isolement, et ce qui lui donnait un charme mystérieux, c’est que je n’avais pas encore rencontré créature humaine depuis que j’en avais franchi le seuil.

Encouragé par cette solitude, je m’assis dans l’embrasure d’une grande fenêtre ogivale, qui laissait passer à larges flots les fauves rayons du soleil, çà et là diaprés de teintes empruntées aux vitres en verre de couleur, tandis qu’une petite fenêtre restée ouverte permettait à la voluptueuse brise d’été de pénétrer. Là, appuyant ma tête sur ma main, et le bras sur une vieille table de chêne, je me laissai aller à une sorte de rêverie au sujet de la destination, dans le passé, de cet édifice. Il était évidemment d’origine monastique ; peut-être était-ce une de ces ruches construites jadis dans l’intérêt de la science, où le moine patient, dans la vaste solitude du cloître, accumulait page sur page et volume sur