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exemple de ceci me frappa dans le cours d’une excursion que je fis l’été dernier dans la Cité ; car ce n’est que dans la saison d’été qu’on peut avec avantage explorer la Cité, quand elle est dégagée de la fumée, des brouillards, de la pluie et de la boue de l’hiver. J’avais pendant quelque temps lutté contre le flot de population qui roulait dans Fleet-street. La chaleur de la température avait détendu mes nerfs et m’avait rendu sensible à toute vibration, à tout heurt, à tout bruit discordant. La chair était fatiguée, l’esprit abattu, et je commençais à être de fort mauvaise humeur contre la foule bruyante, agitée, à travers laquelle j’avais à me démener, quand, dans un mouvement de désespoir, je perçai la presse, m’enfonçai dans une ruelle, et, après avoir tourné plusieurs angles, franchi plusieurs recoins obscurs, ressortis par une belle cour silencieuse, au centre de laquelle était une pelouse qu’ombrageaient des ormes et dont une fontaine, avec son jet d’eau pétillant, entretenait continuellement la fraîcheur et l’éclat. Un étudiant, livre en main, était assis sur un banc de pierre, moitié lisant, moitié méditant sur les évolutions de deux ou trois jolies bonnes d’enfants qui promenaient leurs gracieux fardeaux.

Je ressemblais à l’Arabe qui rencontre tout à coup une oasis au milieu de la desséchante stérilité du désert. Par degré, le calme et la fraîcheur de l’endroit me remirent les nerfs et revigorèrent mes esprits. Je poursuivis ma promenade, et arrivai à une très-antique chapelle située tout près de là, au bas portail saxon, d’une massive et superbe architecture. L’intérieur en était circulaire et grandiose, éclairé par en haut. Tout autour étaient des pierres tumulaires monumentales, d’une date très-ancienne, sur lesquelles étaient étendues les effigies, en marbre, de guerriers armés de pied en cap. Quelques-uns avaient les mains dévotement croisées sur la poitrine ; d’autres serraient le pommeau de leur épée, hostiles et menaçants jusque dans la mort ! — tandis que les jambes en travers de plusieurs d’entre eux indiquaient des soldats de la foi qui étaient partis en croisade pour la Terre-Sainte.

J’étais dans la chapelle des chevaliers du Temple, étrangement placée au centre même du trafic sordide ; et je ne sache pas de leçon plus frappante pour l’homme du monde que de se détour-