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C’est l’histoire de Roscoe. Né dans un lieu évidemment peu propice au développement du talent littéraire ; au centre même d’un monde commercial ; sans fortune, sans liens de famille ni de patronage ; poussé par lui-même, soutenu par lui-même, instruit presque par lui-même, il a triomphé de tous les obstacles, et, son chemin parcouru, sa réputation faite, devenu l’une des gloires de son pays, il a consacré toutes les forces de son talent et toute son influence au progrès et à l’embellissement de sa ville natale.

Je l’avoue, c’est ce dernier trait de son caractère qui l’a rendu du plus haut intérêt à mes yeux, et qui m’a porté surtout à le signaler à mes concitoyens. Éminent comme il l’est par ses mérites littéraires, il est unique entre les nombreux écrivains distingués de cette nation amie des lettres. Car ils ne vivent, en général, que pour leur renommée ou pour leurs plaisirs. Leur histoire privée ne renferme aucune leçon pour le monde, ou bien elle n’offre qu’un triste exemple de l’inconséquence et de la fragilité humaines. Les meilleurs sont portés à se dégager du bruit, de la vulgarité de la vie active ; à se laisser aller au bonheur égoïste que procure l’aisance dans les lettres ; jouissances nobles et pures, mais qu’on goûte tout seul.

Roscoe, lui, n’a revendiqué aucun des priviléges reconnus du talent. Il ne s’est pas enfermé à double tour dans le jardin de la pensée, dans l’élysée de l’imagination ; il s’est engagé dans les grandes routes, les rues fréquentées de la vie. Il a établi des berceaux en marge du chemin, pour le soulagement du pèlerin et de l’étranger, et fait couler une eau pure de fontaines où le travailleur peut, se détournant de la poussière et de la chaleur du jour, se désaltérer aux ondes vivifiantes du savoir. Il y a dans sa vie « une beauté de tous les jours » que le monde peut méditer et qui peut le rendre meilleur. Elle n’offre pas de ces exemples grandioses et presque inutiles, parce qu’ils sont inimitables, de perfection surhumaine ; elle présente un tableau de vertus actives, simples et imitables, qui sont à la portée de tout homme, mais qui, malheureusement, ne sont pas généralement pratiquées, sans quoi ce monde serait un paradis.

Mais c’est sa vie privée qui est particulièrement digne d’attirer l’attention de notre pays, si jeune, si affairé, où la littérature et les arts élégants doivent grandir côte à côte avec ces plantes