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rité. L’esprit, après tout, est un ingrédient extrêmement âcre et mordant, et beaucoup trop acide pour certains estomacs, tandis que l’honnête bonne humeur est l’essence même d’une joyeuse réunion ; et il n’est pas de fête qui égale celle où les plaisanteries sont très-rares et les rires abondants.

Le Squire nous raconta plusieurs longues histoires d’anciennes fredaines et aventures de collége, à quelques-unes desquelles le ministre avait pris part, bien que, lorsqu’on jetait les yeux sur ce dernier, il fallût un certain effort d’imagination pour se figurer dans un si petit, si noir squelette d’homme, le coupable d’une folle équipée. À bien prendre, les deux anciens camarades de collége offraient un exemple frappant de ce que les hommes peuvent être faits par leurs différents lots dans la vie. Le Squire avait quitté l’université pour vivre largement sur les domaines de ses pères, au milieu des vigoureuses jouissances que procurent la fortune et l’existence au grand air, et avait glissé vers une robuste et florissante vieillesse ; tandis que le pauvre ministre, au contraire, s’était insensiblement séché, flétri, entre des volumes poudreux, dans le silence et l’obscurité de son cabinet. Cependant il semblait qu’il y eût encore chez lui une étincelle de feu presque éteint projetant une faible lueur au fond de son âme, et comme le Squire faisait allusion à une piquante histoire du ministre et d’une jolie laitière qu’ils avaient une fois rencontrée sur les bords de l’Isis, l’ancien étudiant fit une série de grimaces qui, autant que je pus lire sur sa physionomie, marquaient évidemment sa satisfaction. — De fait, j’ai rarement vu de vieillard s’offenser pour tout de bon des galanteries qu’on imputait à sa jeunesse.

Je ne tardai pas à m’apercevoir que la marée montante du vin et de la bonne chère s’étendait rapidement sur la terre ferme de la saine raison. La compagnie devenait de plus en plus joyeuse et bruyante à mesure que les plaisanteries devenaient moins légères. Maître Simon était d’humeur aussi communicative qu’une cigale enivrée de rosée ; ses vieilles chansons prenaient un caractère de plus en plus chaud, et il commençait à parler de la veuve en homme pris de vin. Il dit même quelques couplets à propos de la cour faite à une veuve, couplets qu’il avait, m’apprit-il,