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Il serait fastidieux peut-être pour mes lecteurs, qui peuvent ne pas avoir cette sotte faiblesse pour les choses bizarres et surannées à laquelle je suis légèrement enclin, que je mentionnasse les autres tours de force de ce vieux et digne humoriste, tours de force au moyen desquels il tâchait de suivre, quoique à une humble distance, les curieuses coutumes du temps jadis. En somme, j’étais heureux de voir le respect que montraient pour ses fantaisies ses enfants et sa famille ; ils entraient en plein, sans effort, dans leur esprit, et semblaient tous bien au fait de leurs rôles, la chose ayant eu sans doute plus d’une répétition. Je m’amusai beaucoup aussi de l’air de profonde gravité avec lequel le sommelier et les autres domestiques s’acquittaient des fonctions qui leur avaient été assignées, quelqu’excentriques qu’elles pussent être. Ils avaient une physionomie à l’antique, ayant été, pour la plupart, élevés dans la maison, et s’étant, en grandissant, familiarisés avec le vieux logis et les originalités de son propriétaire, et très-probablement considéraient tous ces ordres bizarres comme les lois immuables d’un honnête train de maison.

Lorsque la nappe eut été enlevée, le sommelier apporta un énorme vaisseau d’argent, d’un rare et curieux travail, qu’il plaça devant le Squire. Son apparition fut saluée par des cris de joie : c’était la grande coupe à wassail, si renommée dans les réjouissances de Noël. Le contenu en avait été préparé par le Squire lui-même ; et c’était un breuvage dans l’habile composition duquel il s’enorgueillissait particulièrement : elle était, disait-il, trop complexe, trop abstruse pour l’intelligence d’un domestique ordinaire. À dire vrai, c’était une boisson de nature à faire bondir dans sa poitrine le cœur d’un buveur, étant composée des vins les plus généreux et les plus exquis, fortement épicée et dulcifiée, chargée de pommes rôties flottant à la surface[1].

La figure du vieux gentilhomme rayonnait sous un regard se-

  1. La grande coupe de wassail était quelquefois remplie d’ale au lieu de vin, avec de la muscade, du sucre, des rôties, du gingembre et des pommes sauvages cuites au feu ; c’est ainsi que ce breuvage à couleur foncée se prépare encore dans quelques vieilles familles, et autour du foyer des riches fermiers, à Noël. Elle est aussi appelée Toison d’agneau ; Herrick la célèbre dans sa Nuit des Rois : —

    Que de l’agneau la toison floconneuse
    Couvre le bol plein jusqu’au bord.
    Allons, sucre, muscade et gingembre d’abord,
    Puis une mer d’ale écumeuse.
    C’est ainsi, mes amis, que vous procéderez,
    Et ce faisant riche wassail aurez.