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Bien que m’attendant à être témoin d’un grand nombre de ces petites excentricités, puisque l’on m’avait instruit de la marotte particulière de mon hôte, cependant, je l’avouerai, la pompe avec laquelle était introduit un plat si extraordinaire ne laissa pas de m’intriguer un peu ; jusqu’à ce que je recueillisse de la conversation du Squire et du ministre que cet appareil avait pour but de représenter l’entrée de la tête de sanglier, mets servi jadis avec de grandes cérémonies, au bruit de la musique et des chansons, sur les grandes tables, le jour de Noël. « J’aime cette vieille coutume, disait le Squire, non-seulement parce qu’elle a de la grandeur et qu’elle est charmante en elle-même, mais parce qu’on l’observait au collège d’Oxford, où j’ai été élevé. Quand j’entends chanter cette vieille chanson, elle ramène à mon esprit l’époque où j’étais jeune et folâtre — l’imposante et vieille salle du collége — et les écoliers mes camarades, errant çà et là dans leurs robes noires, dont un grand nombre, pauvres garçons, sont aujourd’hui couchés dans le tombeau ! »

Le ministre, lui, dont l’esprit ne s’ouvrait guère aux idées de cette nature, et qui était toujours plus préoccupé de la lettre que du sentiment, s’éleva contre cette version de la chanson que donnait l’étudiant, laquelle, affirmait-il, différait de celle qu’on chantait au collége. Il poursuivit, donnant, avec l’aride persévérance d’un commentateur, la leçon du collége, accompagnée de diverses annotations ; s’adressant d’abord à la compagnie en général, mais voyant que leur attention était petit à petit distraite par d’autres causeries et d’autres objets, il modéra sa voix à mesure que diminuait le nombre de ses auditeurs, jusqu’à ce qu’il terminât ses remarques sur un ton très-bas, s’adressant à un vieux gentleman à tête épaisse, son voisin, qui était silencieusement engagé dans l’examen d’une énorme assiette de chair de dinde[1].

La table était littéralement chargée de bonne chère, et offrait un abrégé de l’abondance rustique, car c’est l’époque où regorgent les garde-manger. Un poste honorable avait été assigné à « l’antique aloyau », comme l’appelait mon hôte ; c’était, ajou-

  1. Le vieil usage consistant à servir une tête de sanglier le jour de Noël est encore observé au collége de la Reine, à Oxford. Je fus gratifié par le ministre d’une copie de la chanson, telle qu’on la chante aujourd’hui. Comme elle peut être agréable à ceux de mes lecteurs qui seraient curieux de ces graves et savantes matières, je vais la reproduire intégralement :


    La hure que pour nous entre mes mains je tiens
    De romarin, de laurier est garnie.
    À la gaîté je vous convie,
    Quot estis in convivio.
    Caput afri defero,
    Reddens laudes Domino.
     
    Du sanglier la tête, amis, je le soutiens,
    Est le meilleur morceau de la contrée ;
    De fleurs elle est gaîment parée,
    Doit donc serviri cantico.
    Caput afri defero, etc.

    Corda ! notre économe a dérouillé les siens
    Pour honorer le grand Dieu notre maître ;
    Et l’on va pouvoir se repaître
    In reginensi atrio.
    Caput afri defero,
    Etc., etc.