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montait, jetant des étincelles et serpentant le long de l’immense cheminée. Le grand tableau du croisé et de son cheval blanc avait été décoré d’une profusion de verdure pour la circonstance, et le houx et le lierre s’étaient également entrelacés sur la muraille opposée, autour du casque et des armes, qui, je le compris, étaient le casque et les armes du même guerrier. Je dois avouer en passant que j’eus un doute assez prononcé sur l’authenticité du tableau et de l’armure comme ayant appartenu au croisé, car ils portaient certainement l’empreinte d’une époque plus récente ; mais on me dit que la peinture avait été considérée de cette façon depuis un temps immémorial, et que quant à l’armure, elle avait été trouvée dans un garde-meuble, et élevée à sa situation présente par le Squire, qui tout d’abord décida que c’était l’armure du héros de la famille ; et comme il avait sur tous les sujets de cette nature une autorité absolue dans sa propre maison, le fait était passé sans conteste au rang des choses acceptées et qui ont cours. Au-dessous de ce trophée chevaleresque se détachait immédiatement un buffet, sur lequel il y avait un étalage de vaisselle qui aurait pu rivaliser (au moins en variété) avec celui des vases du temple de Balthazar : « flacons, brocs, coupes, tasses, gobelets, bassins et aiguières », splendide matériel de joyeuse existence, qui s’était graduellement accumulé à travers maintes générations de propriétaires bons vivants. Sur le devant se dressaient les deux chandelles de Noël, rayonnant comme deux étoiles de la première grandeur ; d’autres lumières étaient distribuées dans des girandoles, et toute cette armée étincelait comme un ciel d’argent.

Cette scène de festin s’ouvrit au son de la musique, le vieux joueur de harpe assis sur un tabouret au coin de la cheminée, et touchant de son instrument avec incomparablement plus de puissance que de mélodie. Jamais table de Noël n’avait offert plus joyeux, plus riant assemblage de figures : ceux qui n’étaient pas beaux étaient du moins heureux, et le bonheur est un merveilleux amendeur de physionomies, quelque laides qu’elles soient. J’ai toujours considéré une vieille famille anglaise comme aussi digne d’être étudiée qu’une collection de portraits d’Holbein ou d’estampes d’Albert Durer. Il y a là beaucoup de connaissances d’antiquaire à acquérir, une grande science des physionomies du