Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/230

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prit si chaudement prêchée par son ministre. Les vieillards se formèrent en groupes dans le cimetière, se félicitant et se serrant la main ; et les enfants couraient çà et là en criant : Ule ! ule ! et en répétant quelques rimes bizarres[1], que le ministre, qui nous avait rejoints, m’apprit être une relique du vieux temps. Les villageois retirèrent leurs chapeaux au Squire quand il passa, lui adressant les souhaits qu’on exprime à cette époque, avec toutes les apparences d’une cordiale sincérité, et furent par lui invités à se rendre au château pour prendre quelque chose qui tînt à distance le froid du dehors ; et j’entendis plusieurs pauvres murmurer des bénédictions, ce qui me prouva qu’au milieu de ses plaisirs le vieux et digne cavalier n’avait pas oublié la véritable vertu de Noël : la charité.

Pendant le trajet pour revenir à la maison, son cœur sembla déborder sous les sentiments de bonheur et de générosité. Comme nous passions sur une petite éminence qui dominait une espèce de perspective, des bruits de réjouissance rustique vinrent frapper nos oreilles ; le Squire fit une pause de quelques instants, et promena autour de lui des regards où se peignait une inexprimable bonté. La beauté du jour était par elle-même suffisante pour inspirer l’amour de ses semblables. Malgré le froid piquant de la matinée, le soleil, dans sa course à travers un ciel sans nuage, avait acquis assez de force pour fondre et dissiper le léger manteau de neige qui recouvrait toutes les pentes exposées au midi, pour mettre à nu ce vert vif qui pare un paysage anglais même au cœur de l’hiver. De larges et riches bandes de verdure contrastaient avec l’éblouissante blancheur des creux et des versants ombragés. Chaque talus abrité sur lequel reposaient les larges rayons laissait échapper son petit ruisseau d’eau limpide et glacée, qui étincelait à travers le gazon, et faisait monter de légères exhalaisons, apportant ainsi son tribut au fin brouillard qui planait au-dessus de la surface de la terre. Il y avait quelque chose de vraiment délicieux dans ce triomphe de la chaleur et

  1. « Ule ! Ule! (*)
    Mettons trois puddings dans un moule ;
    Cassons noisette et crions : Ule ! »
    (*) On prononce oule.