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fleurs de serre chaude, et que, juste au moment où la chanson finissait, le bouquet gisait en ruine sur le plancher.

On dut alors se séparer pour la nuit, après avoir toutefois observé l’affectueuse et vieille coutume qui consiste à se serrer cordialement la main. Comme je traversais la grande salle pour me rendre dans la pièce qui m’était destinée, je m’aperçus que les cendres chaudes de la bûche de Noël expirante projetaient encore une lueur sombre, et si ce n’eût pas été l’époque où « les esprits inquiets alors n’osent bouger », j’aurais presque été tenté de sortir furtivement à minuit, et de regarder si les fées ne pourraient pas bien être à prendre leurs ébats autour du foyer.

Ma chambre se trouvait dans la partie vieille du logis, et son lourd ameublement semblait avoir été fabriqué à l’époque des géants. La pièce était à panneaux, avec des corniches sculptées d’un lourd travail, dans lesquelles s’entremêlaient d’une façon étrange des fleurons et des figures grotesques, et une rangée de portraits à la mine rébarbative me regardaient fixement et lugubrement des murailles. Le lit, de damas riche quoique fané, et surmonté d’un baldaquin très-élevé, se dressait dans un renfoncement, en face d’une fenêtre à ogive. Je m’étais à peine plongé dans mes draps que je crus entendre des accords de musique éclater dans l’air précisément au-dessous de la croisée. J’écoutai, et je découvris qu’ils provenaient d’un groupe : d’où je conclus que c’étaient les violons de quelque village environnant. Ils faisaient le tour de la maison, jouant sous les fenêtres. Je tirai les rideaux pour entendre plus distinctement. Les rayons de la lune traversaient la partie supérieure de la lourde fenêtre, éclairant en partie le haut de cette antique pièce. Les sons, à mesure qu’ils s’éloignaient, devenaient de plus en plus doux et aériens, et semblaient s’harmoniser avec le silence et cette nuit de clair de lune. J’écoutai, j’écoutai — ils devenaient de plus en plus légers et lointains, — et comme ils expiraient peu à peu dans l’éloignement, ma tête s’affaissa sur l’oreiller, et je m’endormis profondément.