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fus assez porté à croire étudiée, il commença la petite chanson française du Troubadour. Mais le Squire se récria, disant qu’on ne devait chanter, la veille de Noël, que du bon vieux anglais ; sur quoi le jeune ménestrel, levant les yeux au plafond pendant un instant, comme pour un effort de mémoire, entonna sans plus se faire prier, d’un air de galanterie tout régence, le « Morceau nocturne à Julia », de Herrick : —


Les vers luisants leurs yeux te prêteront ;
Les farfadets, au regard qui pétille,
Comme au foyer quand l’étincelle brille,
À tes côtés se rangeront.

Feux follets ne t’égareront ;
Serpents, orvets ne te mordront.
En route, pars, allons, courage !
Aucun danger : sur ton passage
Tous les esprits s’écarteront.

Rien ne doit t’arrêter. Crains-tu d’affronter l’ombre ?
Que la lune sommeille en un nuage sombre ?
Mais de la nuit les astres radieux
Te prêteront leurs feux,
Comme de clairs flambeaux sans nombre.
 
Ma Julia, dis, laisse-toi
Prier d’amour ; oh ! viens à moi !
Quand de ma main, si l’amour me protège,
Je toucherai ta main de neige,
Je verserai mon âme en toi.


Le choix du poëme pouvait avoir été ou ne pas avoir été un compliment à l’adresse de la belle Julia, car je découvris que c’était ainsi que se nommait la jeune fille : ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle n’avait pas le moins du monde conscience d’aucune application semblable, car elle ne jeta pas une seule fois les yeux sur le chanteur, mais tint constamment ses regards baissés vers le parquet. Son visage était couvert, il est vrai, d’une charmante rougeur ; il est vrai que sa poitrine se soulevait doucement ; mais tout cela, sans doute, était causé par l’émotion de la danse. En vérité, si grande était son indifférence, qu’elle s’amusait à dévaster, en l’effeuillant, un magnifique bouquet de