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nous accueillons d’ordinaire une vieille et très-aimable connaissance.

La gaieté de la compagnie était singulièrement excitée par les saillies d’un personnage excentrique auquel M. Bracebridge adressait toujours la bizarre appellation de maître Simon. C’était un petit homme propret et plein de feu, et qui avait évidemment l’air d’un vieux garçon. Son nez était conformé en bec de perroquet, son visage légèrement marqué de la petite vérole, mais réjouissant, et toujours en floraison, comme en automne une feuille mordue par la gelée. Il avait l’œil excessivement vif et brillant, et un air de malice aux aguets dans l’expression qui était irrésistible. C’était évidemment le bel esprit de la famille ; prodiguant les fines plaisanteries et les insinuations avec les dames, et causant une gaieté sans fin en rabâchant sur de vieux thèmes, lesquels malheureusement mon ignorance des chroniques de la famille ne me permit pas de goûter. Son grand bonheur pendant le repas sembla consister à tenir une jeune fille qu’il avait pour voisine dans une agonie continue de rires étouffés, en dépit de la crainte qu’elle avait des regards réprobateurs de sa mère, assise vis-à-vis. Il était l’idole de la partie jeune de la compagnie, qui riait à la moindre chose qu’il disait ou faisait, et à chaque mouvement de sa physionomie. Je n’en fus pas surpris, car il devait être à leurs yeux un prodige de talents. Il savait imiter Polichinelle et Judy, faire une vieille femme avec sa main, à l’aide d’un bouchon brûlé et d’un mouchoir, et tailler dans une orange une si burlesque caricature que toute cette jeunesse en riait à mourir.

Frank Bracebridge me raconta son histoire en deux mots. C’était un vieux garçon possesseur d’un revenu modeste, mais indépendant, lequel, grâce à une soigneuse,économie, suffisait à tous ses besoins. Il gravitait à travers le système de la famille comme fait une comète vagabonde dans son orbite, visitant une branche aujourd’hui, demain une autre tout à fait éloignée, ainsi qu’il arrive souvent aux personnes dont les liaisons sont très-étendues et la fortune très-petite, en Angleterre. Il lui fallait sans cesse gazouiller et se trémousser ; mettant d’ailleurs à profit l’heure présente ; et le fréquent changement de scènes et de compagnies l’avait empêché de prendre ces habitudes bourrues