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du temps ses chevaux allaient le galop. « Il sait où il va, dit en souriant mon compagnon, et il voudrait bien arriver à temps pour prendre sa part des réjouissances et de la bonne chère de l’office. Vous saurez que mon père est un partisan fanatique de la vieille école, et qu’il tient à honneur de conserver quelque chose de la vieille hospitalité anglaise. C’est un échantillon passable de ce que vous rencontrerez rarement à notre époque dans toute sa pureté, le vieux gentilhomme campagnard anglais ; car chez nous les gens riches passent une si grande partie de leur temps à la ville, et la mode envahit tellement la campagne, que les fortes et belles particularités de l’ancienne vie rustique ont presque entièrement disparu. Mon père, lui, dès ses plus tendres années, prit l’honnête Peacham[1] pour son évangile, au lieu de Chesterfield ; il s’est mis dans la tête qu’il n’y avait pas de condition plus réellement honorable et digne d’envie que celle de gentilhomme campagnard vivant sur le domaine de ses pères, et passe, en conséquence, tout son temps sur sa propriété. Il combat vaillamment pour la résurrection des vieux divertissements rustiques et l’observance des fêtes, et est profondément versé dans les auteurs, anciens et modernes, qui ont traité ce sujet. Oui, son terrain favori, en fait de lecture, ce sont les auteurs qui fleurirent il y a deux siècles au moins, lesquels, soutient-il, écrivirent et pensèrent plus en véritables Anglais qu’aucun de ceux qui les ont suivis. Parfois même il regrette de n’être pas né quelques siècles plus tôt, quand l’Angleterre était elle-même et avait ses mœurs, ses coutumes particulières. Demeurant à quelque distance de la grande route, dans un endroit presque isolé de la contrée, sans rivalité de petite noblesse sous le vent, il possède le plus enviable de tous les bonheurs pour un Anglais, c’est-à-dire la faculté de se laisser aller au gré de son humeur sans être tourmenté. Comme il représente la plus ancienne famille du voisinage, et qu’une grande partie des paysans sont ses tenanciers, on le considère beaucoup, et, en général, on ne le connaît guère que sous le nom de « le Squire », titre qui fut accordé depuis un temps immémorial au chef de la famille. J’ai cru qu’il convenait de vous donner ces quelques aperçus au sujet

  1. Le Parfait Gentilhomme, par Peacham, 1622.