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d’une foule d’admirateurs, garçons d’écurie, palefreniers, décrotteurs, et ces parasites sans nom qui infestent les auberges et les tavernes, se chargent des commissions, et font toutes sortes de besognes étranges pour avoir le privilège de vivre sur les graisses de rôtis et les fuites de la cave. Tout ce monde a les yeux fixés sur lui comme sur un oracle, recueille comme un trésor ses phrases d’argot, se fait l’écho de ses opinions sur les chevaux et autres thèmes du répertoire des maquignons, et par-dessus tout s’efforce d’imiter son air et sa démarche. Pas un gueux ayant un habit sur le dos qui n’enfonce ses mains dans ses poches, ne prenne des allures de pacha, ne parle argot, bref ne soit un cocher à l’état d’embryon.

Peut-être cela tenait-il à l’heureuse sérénité qui régnait dans mon esprit ; mais je m’imaginai lire le contentement sur toutes les physionomies le long de la route. Il est vrai qu’une diligence porte toujours l’animation avec elle, et que le bruit des roues met chacun en mouvement sur son passage. Le cornet, embouché chaque fois que l’on entre dans un village, produit une agitation générale. Les uns se précipitent pour recevoir des amis ; d’autres accourent avec des paquets et des cartons pour s’assurer des places, et, dans la confusion du moment, peuvent à peine prendre congé du groupe qui les accompagne. Pendant ce temps-là le conducteur a tout un monde de petites commissions à remplir. Parfois il remet un lièvre ou un faisan ; parfois il lance un petit paquet ou un journal à la porte d’un établissement public ; parfois il tend, avec le regard en coulisse d’un connaisseur et des mots à double entente, à quelque moitié rougissante moitié rieuse servante le billet doux à forme étrange de quelque rustique admirateur. Comme la voiture roule avec fracas le long du village, chacun court à la fenêtre, et de chaque côté vous avez une rangée de frais visages de campagne, un bouquet de jeunes filles au rire épanoui. En haut et en bas sont réunis des groupes de paresseux de village et de philosophes, lesquels ont établi là leur quartier général dans l’important dessein de voir passer du monde ; mais le cercle le plus sérieux se tient généralement devant la boutique du forgeron, pour qui le passage de la diligence est un événement important, une source de spéculation. Le forgeron, un sabot de cheval dans son tablier, lorsque se rapproche le bruit de la voiture, s’arrête ; les