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trouva que c’était le mât d’un vaisseau qui devait avoir été complétement détruit, car on y voyait encore des lambeaux de mouchoirs avec lesquels s’étaient attachés quelques-uns des hommes de l’équipage pour empêcher qu’ils ne fussent balayés par les vagues. Rien ne pouvait mettre sur la trace du nom de ce vaisseau. Le débris avait évidemment été chassé pendant bien des mois ; un amas de coquillages y adhérait, et de longues herbes marines pendaient sur les côtés. Mais où est l’équipage ? pensai-je. Il y a longtemps que la lutte a cessé ; — ils ont été engloutis au milieu des mugissements de la tempête, — leurs os blanchissent au fond des grottes de l’océan. Le silence et l’oubli se sont refermés sur eux comme les vagues, et personne ne peut dire comment ils ont fini. Que de soupirs ont suivi ce vaisseau ! que de prières ardentes se sont envolées vers Dieu du foyer solitaire ! Combien de fois une maîtresse, une femme, une mère, ont-elles avidement parcouru les nouvelles du jour pour y trouver quelque menu renseignement sur cet aventurier, sur ce fils de l’océan ! Comme l’horizon s’est assombri ! — comme l’attente s’est changée en anxiété ! — l’anxiété en crainte — et la crainte en désespoir ! Hélas ! elles n’auront pas même d’eux un souvenir pour tromper leur douleur. Tout ce que l’on saura jamais au sujet de ce vaisseau, c’est qu’un jour il quitta le port, « et qu’on n’en entendit plus jamais parler ! »

La vue de ce débris amena, comme c’est l’usage, une foule d’anecdotes lugubres. Elles se déroulèrent principalement dans la soirée, lorsque le temps fut devenu sombre et menaçant, de beau qu’il avait été jusque-là, et eut signalé un de ces orages soudains qui, sur mer, rompent parfois la sérénité d’un voyage en été. Assis en cercle dans la chambre, autour d’une lampe fumeuse dont la clarté blafarde rendait l’obscurité plus effrayante encore, on ouït chacun faire son petit récit de naufrage et de sinistre. Il en est un très-court dont nous gratifia le capitaine et qui me frappa.

« Une fois, nous dit-il, je faisais voile vers les côtes de Terre-Neuve avec un solide et beau vaisseau, quand un de ces épais brouillards qui règnent dans ces parages vint à peu près nous mettre dans l’impossibilité d’y voir devant nous en plein jour ; la nuit, le temps était si couvert que nous ne pouvions distinguer un objet à une distance double de la longueur du