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pire de la mort ; son grand palais plein de ténèbres, où elle trône railleuse sur les ruines de la gloire humaine, répandant la poussière et l’oubli sur les monuments des rois. Quel puéril hochet, après tout, que l’immortalité d’un nom ! Le temps tourne toujours et silencieusement ses feuillets ; nous sommes trop préoccupés par l’histoire du présent pour songer aux caractères, aux anecdotes qui ont donné de l’intérêt au passé ; chaque siècle qui s’écoule forme un volume qui est mis de côté et qui est vite oublié. L’idole d’aujourd’hui chasse de notre souvenir le héros d’hier ; à son tour, il sera supplanté par son successeur de demain. « Nos pères, dit sir Thomas Brown, trouvent leurs tombeaux dans nos courtes mémoires, et cela nous fait tristement songer que nous pourrons bien trouver le nôtre dans ceux qui nous survivront. » L’histoire s’efface et fait place à la fable, le fait s’est bientôt voilé de doutes et de controverses, l’inscription disparaît de la tablette, la statue tombe du piédestal. Colonnes, arches, pyramides, qu’est-ce que tout cela, sinon des monceaux de sable ; et leurs épitaphes, sinon des caractères tracés sur la poudre ? Qu’est-ce que la sécurité d’une tombe ou la perpétuité d’un embaumement ? Les restes d’Alexandre le Grand ont été jetés au vent, et son sarcophage vide n’est plus que l’ornement d’un musée. « Les momies égyptiennes, que Cambyse ou le temps ont épargnées, la cupidité les dévore maintenant ; Mizraïm guérit des blessures, et l’on débite Pharaon pour le baume[1]. »

Qu’est-ce qui empêchera donc cet édifice qui maintenant s’élève orgueilleusement au-dessus de moi de partager le sort de mausolées plus hautains ? Le temps doit venir où ses voûtes dorées, qui aujourd’hui se dressent si majestueusement, tomberont en morceaux et seront foulées aux pieds ; quand, au lieu de la mélodie et des chants de triomphe, le vent sifflera au travers des arches brisées, et que le chat-huant poussera son cri moqueur sur la tour en ruine ; — quand le soleil, radieux, fera irruption dans ces lugubres asiles de la mort ; que le lierre s’enroulera autour de la colonne renversée, et que la digitale suspendra ses fleurs autour de l’urne sans nom, comme en moquerie de la

  1. Sir T. Brown.