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blimes, comme les chants purs du ciel. Mais voilà que l’orgue à la grande voix fait encore éclater et mugir son tonnerre, changeant l’air en musique et l’envoyant rouler sur l’âme. Quelles majestueuses cadences ! que ces accords sont solennels et triomphants ! Les sons deviennent de plus en plus compacts et puissants — ils remplissent le vaste édifice, et semblent faire vibrer les murs eux-mêmes ; — l’oreille est étourdie, les sens sont écrasés. Et maintenant ils s’épanouissent en pleine allégresse, — ils s’élancent de la terre au ciel ; — on dirait que l’âme elle-même est emportée dans les nuages et flotte sur cette marée montante dont les vagues sont de l’harmonie.

Je restai pendant quelque temps abîmé dans cette espèce de rêverie que des accords de musique sont parfois de nature à faire naître : les ombres du soir s’épaississaient graduellement autour de moi ; les monuments commençaient à projeter une obscurité de plus en plus profonde, et l’horloge éloignée venait témoigner encore du lent déclin du jour.

Je me levai, et me disposai à quitter l’abbaye. Comme je descendais les marches qui conduisent dans le corps de l’édifice, ma vue se porta sur la châsse d’Édouard le Confesseur, et je gravis le petit escalier qui y mène, pour de là prendre un aperçu général de ce désert de tombeaux. La châsse est élevée sur une espèce de plate-forme ; autour sont les sépulcres de divers rois et reines. De cette éminence l’œil plonge, entre des colonnes et des trophées funèbres, jusque dans les chapelles et les salles inférieures, encombrées de tombes, où des guerriers, des prélats, des courtisans et des hommes d’État sont couchés et pourrissent dans leurs « lits de ténèbres. » Tout près de moi se trouvait le grand fauteuil du couronnement, en chêne grossièrement sculpté, dans le goût barbare d’un siècle gothique et reculé. Le tableau semblait presque arrangé pour produire, au moyen d’artifices de théâtre, de l’effet sur le spectateur. C’était l’emblème du commencement et de la fin de la pompe et de la puissance humaines ; il n’y avait littéralement ici qu’un pas du trône au sépulcre. Ne croirait-on pas que ces souvenirs discordants furent accouplés pour donner une leçon à la grandeur vivante ? — pour lui montrer, à l’heure même de son plus orgueilleux triomphe, l’abandon et le mépris où bientôt elle doit tomber ; que bientôt cette couronne