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les nôtres. Ce sont comme des objets de quelque pays étrange et lointain, sur lequel nous n’avons pas de notions certaines, au sujet duquel toutes nos idées sont vagues et flottantes. Il y a quelque chose d’extrêmement solennel, de majestueusement effrayant, dans ces effigies étendues sur des tombes gothiques, comme s’ils dormaient du sommeil de la mort ou murmuraient les prières de l’agonie. Elles produisent sur mon âme un effet plus puissant mille fois que les poses bizarres, les attitudes tourmentées et les groupes allégoriques qui abondent sur les monuments modernes. Je fus encore frappé de la supériorité qu’ont un grand nombre des anciennes inscriptions tumulaires. Autrefois on avait le don de dire les choses simplement, tout en les disant fièrement ; et je ne sais pas d’épithaphe qui respire plus hardiment la conscience de la valeur d’une famille et d’un glorieux lignage que celle qui dit d’une noble maison que « tous les frères étaient braves et toutes les sœurs vertueuses. »

Dans le transept qui fait face au coin des poëtes se dresse un monument que l’on range parmi les productions les plus renommées de l’art moderne, mais qui me paraît horrible plutôt que sublime. C’est la tombe de Me Nightingale, par Roubillac. Le fond du monument nous apparaît ouvrant toutes grandes ses portes de marbre ; un squelette s’en échappe couvert d’un drap mortuaire. Le linceul tombe de son corps décharné pendant qu’il lance un trait à sa victime. On la voit s’affaisser dans les bras de son époux terrifié, qui, frénétique et vain effort ! cherche à détourner le coup. Le tout est rendu avec une force, une vérité terribles ; on s’imagine presque entendre un sauvage cri de triomphe sortir de la bouche grimaçante du fantôme. — Mais pourquoi donc chercherions-nous à vêtir la mort de terreurs inutiles, à semer l’horreur autour de la tombe de ceux que nous aimons ? Le tombeau ne devrait être entouré que de ce qui peut inspirer la tendresse et la vénération pour les morts, ou gagner les vivants à la vertu. Ce n’est pas la place du dégoût et de l’épouvante, mais celle de la douleur et de la méditation.

Pendant qu’on erre sous ces voûtes sombres, le long de ces ailes silencieuses, étudiant les archives des morts , les bruits de l’existence active, venant de l’extérieur, arrivent de temps à autre aux oreilles : c’est le fracas de l’équipage qui roule, le bour-