Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/179

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une époque plus récente : Vitalis, abbas, 1082 ; Gislebertus Crispinus, abbas, 1114 ; et Laurentius, abbas, 1176. Je restai pendant quelque temps à rêver sur ces fortuites reliques du passé, demeurées ainsi comme des vaisseaux naufragés sur ce lointain rivage du temps, et n’apprenant rien, si ce n’est que ces hommes furent et ne sont plus : d’où ne ressort d’autre leçon morale que la futilité de cet orgueil qui voudrait encore faire germer des hommages dans la poussière, et vivre dans une inscription. Encore un peu de temps, et ces inscriptions à peine visibles seront elles-mêmes effacées, et le monument cessera d’être un mémorial. Pendant que j’avais ainsi l’œil baissé sur ces tombes, je fus réveillé par le bruit de l’horloge de l’abbaye, qui, répété d’arc-boutant en arc-boutant, courait le long des cloîtres. On frissonne presque en oyant cet enregistreur du temps écoulé résonner au milieu des tombes pour nous dire qu’une heure s’est enfuie, et qu’elle nous a, comme une vague, fait faire en roulant un pas de plus vers la mort. Je poursuivis ma promenade, et me dirigeai vers une porte cintrée qui ouvrait sur l’intérieur de l’abbaye. En entrant, la grandeur de l’édifice frappe vivement l’esprit par son contraste avec les voûtes des cloîtres ; l’œil contemple émerveillé ce groupe de colonnes aux gigantesques proportions, avec les arceaux qui s’en échappent pour s’élever à une prodigieuse hauteur, et l’homme errant autour de leurs bases, qui se rapetisse et devient tout à coup ridicule, quand on le compare à l’œuvre de ses mains. Les sombres profondeurs de ce vaste édifice éveillent une crainte mêlée de respect, intense et mystérieuse. Nous avançons doucement et avec précaution, comme si nous avions peur de troubler le silence consacré de la tombe, et le moindre bruit de pas, en chuchotant le long des murs, en courant parmi les cercueils, rend plus sensible pour nous le repos que nous avons troublé.

Il semble que le caractère solennel du lieu pèse sur l’âme de tout son poids, et qu’il impose le mutisme au respect de celui qui le contemple. Nous sentons que nous sommes entourés des ossements amoncelés des grands hommes des temps passés, qui ont rempli l’histoire de leurs hauts faits, et la terre de leur renommée.

Et pourtant cela vous arrache presque un sourire sur la vanité