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sur les vieux guerriers à taille colossale ses aïeux, dont les portraits, suspendus le long des murs, lançaient en bas de farouches regards ; et jamais il ne trouvait d’auditeurs comparables à ceux qu’il nourrissait à ses dépens. Il avait un goût prononcé pour le merveilleux, et croyait fermement à toutes ces histoires surnaturelles dont en Allemagne chaque vallée, chaque montagne est remplie. La crédulité de ses hôtes surpassait encore la sienne : ils écoutaient chacun de ces contes étranges la bouche et les yeux béants, et ne manquaient jamais d’être profondément étonnés, lors même qu’ils l’entendaient pour la centième fois. Ainsi vivait le baron Von Landshort, l’oracle de sa table, le monarque absolu de ses petits États, heureux surtout par la conviction qu’il avait d’être l’homme le plus sage de son siècle.

À l’époque dont traite mon récit il y eut au château une grande réunion de famille, pour une affaire de la dernière importance. Il s’agissait de recevoir le futur époux de la fille du baron. Une négociation s’était ouverte entre ce dernier et un vieux seigneur de Bavière, afin d’unir la dignité de leurs maisons par le mariage de leurs enfants. Les préliminaires avaient été menés avec le cérémonial convenable. Les jeunes gens avaient été fiancés sans se voir, et l’époque de la cérémonie nuptiale était fixée. Le jeune comte Von Altenburg avait été rappelé de l’armée dans ce but ; il était maintenant en route pour le château du baron, afin de recevoir sa fiancée. Il était même arrivé des lettres de lui, datées de Wurtzburg, où il se trouvait accidentellement retenu, qui marquaient le jour et l’heure où l’on pouvait s’attendre à le voir arriver.

Le château s’agitait en tumultueux apprêts pour lui faire un accueil convenable. On avait mis un soin extraordinaire à parer la belle fiancée. Ses deux tantes avaient voulu présider à sa toilette, et s’étaient disputées toute la matinée sur chaque article de son ajustement. La demoiselle avait pris avantage de leurs débats pour suivre l’impulsion de son goût à elle, qui fort heureusement se trouvait bon. Elle avait l’air aussi charmant qu’un jeune fiancé pouvait le désirer, et le trouble de l’attente ajoutait encore à l’éclat de ses charmes.

L’incarnat qui couvrait son visage et son cou, le léger gonflement du sein, l’œil qui de temps à autre se perdait dans une rêverie, tout trahissait le tumulte ravissant auquel son petit cœur