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LE SPECTRE-FIANCÉ
HISTOIRE DE VOYAGEUR[1].


Il allait s’attabler, le sourire à la bouche,
Mais il est bien glacé, je gage, cette nuit.
Dans sa chambre, hier soir, c’est moi qui l’ai conduit,
Et cette nuit Gray-Steel a préparé sa couche.

Sir Eger, Sir Grahame et Sir Gray-Steel.


Sur la cime de l’une des hauteurs de l’Odenwald, chaîne sauvage et romantique de l’Allemagne supérieure s’étendant non loin du confluent du Mein et du Rhin, s’élevait, il y a bien, bien des années, le château du baron Von Landshort. Il est maintenant tombé complétement en ruine, et presque enseveli parmi les hêtres et les noirs sapins, au-dessus desquels cependant on peut encore voir son antique beffroi s’efforcer, comme l’ancien propriétaire dont j’ai parlé, de porter la tête haute et de dominer le pays d’alentour.

Le baron était une branche sèche de la grande famille des Katzenellenbogen[2] ; il avait hérité des restes du domaine et de tout l’orgueil de ses ancêtres. Bien que l’humeur guerrière de ses prédécesseurs eût beaucoup ébréché les possessions de la famille, le baron n’en faisait pas moins tout son possible pour conserver quelques vestiges de cette grandeur évanouie. Les temps étaient tranquilles, et la plupart des nobles allemands avaient abandonné leurs vieux châteaux incommodes, perchés

  1. Le lecteur érudit versé dans les sciences inutiles s’apercevra que cette histoire a été, selon toute apparence, suggérée au vieux Suisse par une petite anecdote française basée sur un fait arrivé, dit-on, à Paris.
  2. C’est-à-dire Coude de Chatte. Nom d’une famille très-puissante autrefois dans cette contrée. La dénomination fut donnée, dit-on, en manière de compliment, à une incomparable dame de la famille, renommée pour la beauté de son bras.