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me manque presque en voyant combien mon humeur paresseuse m’a détourné des grands objets étudiés par tout voyageur régulier qui veut faire un livre. Je crains bien de causer le même désappointement que ce malheureux peintre de paysage qui avait voyagé sur le continent. Se laissant aller à ses inclinations vagabondes, il avait esquissé des enfoncements, des coins de vues, des endroits déserts. Aussi son album était-il encombré de chaumières, de sites, de ruines obscures ; mais il s’était bien gardé de dessiner Saint-Pierre ou le Colisée, la cascade de Terni ou la baie de Naples, et n’avait pas un seul glacier, pas un volcan, dans toute sa collection.


LA TRAVERSÉE.

Je vous verrai poindre, vaisseaux,
Tout au loin sur les eaux ;
Je chercherai qui vous savez défendre,
À quelles fins vous pouvez tendre.
L’un s’apprête au départ ; il va, pour commercer,
Vers de lointains climats tout brûlant s’élancer.
L’autre demeure au port ; il doit d’une descente
Garantir son pays. Sous sa charge opulente
Un troisième revient triomphant, abattu…

Mais, ô ma fantaisie, où donc t’égares-tu ?
(Vieux poëme.)

Pour un Américain qui veut visiter l’Europe le long voyage qu’il a à faire est une excellente préparation. L’absence momentanée de scènes et d’occupations mondaines rend l’esprit singulièrement apte à recevoir de nouvelles et de vives impressions. La vaste étendue d’eau qui sépare les hémisphères est comme une page blanche dans l’existence. Il n’y a pas là de transition graduée comme en Europe, où la physionomie d’un pays et le caractère de ses habitants se confondent, presque sans qu’on s’en aperçoive, avec ceux d’une autre contrée. Du moment où vous perdez