les tombeaux de leurs amis plusieurs dimanches de suite après l’enterrement ; et dans les endroits où la délicate coutume de répandre et de planter des fleurs est encore observée, cela se renouvelle toujours à Pâques, à la Pentecôte, et autres jours de fête, quand la saison ramène avec plus de force à l’esprit le souvenir du compagnon de vos réjouissances d’autrefois. Ce sont aussi les parents les plus proches et les amis les plus intimes qui s’acquittent invariablement de ce soin ; on n’emploie ni domestiques ni mercenaires ; et quand un voisin prête son assistance, cela serait considéré comme une insulte de lui offrir une rémunération.
Je me suis appesanti sur cette belle coutume rustique, parce qu’aussi bien que c’est l’un des derniers, c’est aussi l’un des plus saints devoirs de l’amour. La tombe est la pierre de touche de toute véritable affection. C’est là que se manifeste la supériorité du sublime emportement de l’âme sur l’impulsion instinctive d’un attachement purement animal. Il faut que ce dernier soit continuellement entretenu, ravivé par la présence de son objet ; mais l’amour qui a son siége dans le cœur peut vivre sur un souvenir lointain. Les simples inclinations des sens pâlissent et s’effacent avec les charmes qui les ont fait naître, et se détournent avec un dégoût mêlé d’effroi des abords lugubres du tombeau ; mais c’est de là que l’affection vraiment immatérielle s’élève purifiée de tout désir sensuel, et retourne, comme une flamme sainte, illuminer et sanctifier le cœur de celui qui survit.
La douleur qui nous vient par les morts est la seule douleur à laquelle nous refusions de nous arracher. Toute autre blessure, nous tâchons de la guérir ; — toute autre affliction, de l’oublier. Mais cette blessure, nous considérons comme un devoir de la laisser ouverte ; — cette affliction, nous la caressons, nous la couvons dans la solitude. Où donc est la mère qui consentirait à oublier l’enfant qui s’est flétri comme une fleur entre ses bras impuissants ? et pourtant chaque souvenir est une angoisse ! Où donc est l’enfant qui consentirait à oublier la plus tendre des mères, bien que pour lui se souvenir ce soit pleurer ? Qui donc, même à l’heure de l’agonie, voudrait oublier l’ami sur lequel il s’afflige ? Qui donc, même au moment où la tombe se referme sur les restes mortels de celle qu’il a aimée, quand il sent son cœur pour ainsi dire pris sous les planches du cercueil,