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combien de jours sans repos ! combien de nuits sans sommeil ! Car leurs auteurs se sont ensevelis dans la solitude des cellules et des cloîtres, fuyant la face de l’homme, et la face de la nature, plus vivifiante encore ; ils se sont dévoués aux pénibles recherches, aux méditations profondes ! Et tout cela pourquoi ? Pour occuper un pouce de terrain sur une tablette poudreuse, — pour que les titres de leurs ouvrages soient lus de temps à autre dans un siècle futur par quelque homme d’église assoupi, par quelque rare chercheur, comme moi-même, et qu’au siècle suivant il ne reste pas même d’eux un souvenir. Voilà quel est le montant de cette immortalité si vantée : un bruit purement temporaire, un son local, comme le son de cette cloche qui tintait tout à l’heure au milieu de ces tours, qui remplit l’oreille pendant un instant — dont l’écho répète à peine les notes affaiblies — et qui meurt comme une chose qui n’a jamais été !

Pendant que j’étais assis, murmurant à demi, méditant à demi ces inutiles spéculations, et la tête appuyée sur une main, je jouais de l’autre sur l’in-quarto. Le hasard voulut que j’en détachasse les fermoirs. Alors, à ma profonde stupéfaction, le petit livre poussa deux ou trois bâillements, comme une personne qui sort d’un profond sommeil, puis un hem ! enroué, et finalement se mit à causer. D’abord sa voix était très-rauque et brisée, étant fort embarrassée par la toile qu’une araignée laborieuse avait filée en travers, et probablement il avait gagné quelque rhume pour avoir si longtemps supporté le froid et l’humidité de l’abbaye. Bientôt cependant ses paroles devinrent plus distinctes, et je ne tardai guère à trouver en lui le plus sociable, le plus éloquent petit tome. Ses termes, assurément, étaient bien recherchés, bien surannés ; sa prononciation serait de nos jours traitée de barbare ; mais je vais m’efforcer, autant que possible, de rendre son langage en langage moderne.

Il débuta par des invectives contre l’oubli du monde — sur ce qu’on laissait le mérite languir dans l’obscurité — enfin bien des lieux communs de lamentation littéraire, et se plaignit amèrement qu’on ne l’eût pas ouvert depuis plus de deux siècles ; que seul le doyen jetait de temps à autre un regard dans la bibliothèque, descendait parfois un volume ou deux, en agissait à la légère avec eux pendant quelques moments, et puis les replaçait