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s’ouvrir, comme une porte qui n’en a pas l’habitude. Nous escaladâmes alors un petit escalier noir, et, passant sous une seconde porte, nous entrâmes dans la bibliothèque.

Je me trouvai dans une grande salle antique, au toit supporté par des poutres massives en vieux chêne anglais. Elle était sobrement éclairée par une rangée de fenêtres gothiques placées à une hauteur considérable du sol, et qui donnaient probablement sur les toits des cloîtres. Une ancienne peinture, représentant quelque révérend dignitaire de l’Église en grand costume, se suspendait au-dessus de la cheminée. Autour de la salle, dans une petite galerie, étaient les livres, rangés dans des cases de chêne sculptées. Ils consistaient principalement en vieux écrivains polémistes, et avaient beaucoup plus souffert du temps que des lecteurs. Au centre de la bibliothèque était une table solitaire sur laquelle se trouvaient deux ou trois livres, un encrier sans encre, et quelques plumes desséchées par suite d’un long non-usage. L’endroit semblait propice aux études silencieuses, aux méditations profondes. Il était complètement enterré parmi les épaisses murailles de l’abbaye, et barricadé contre le tumulte du monde. J’entendais seulement, de loin en loin, les cris des écoliers grossissant au fur et à mesure qu’ils s’élevaient des cloîtres, et le son d’une cloche tintant pour la prière, qui courait, sobrement répété, le long des toits de l’abbaye. Par degrés les accents joyeux s’affaiblirent ; ils finirent par expirer tout à fait. La cloche cessa de tinter, et le calme le plus profond régna dans cette salle sombre.

J’avais pris sur son rayon un épais petit in-quarto, curieusement relié en parchemin, aux fermoirs de cuivre, et m’étais assis à la table dans un vénérable fauteuil. Mais au lieu de lire, je me laissai aller, sans y prendre garde, à une suite de rêveries provoquées par le silence de mort, l’air solennel et monastique de l’endroit. Comme je promenais mes regards sur ces vieux volumes aux couvertures en ruine, alignés sur des rayons, et dont le repos n’était probablement jamais troublé, je ne pus m’empêcher de voir dans la bibliothèque une sorte de catacombes littéraires, où les auteurs sont pieusement enterrés, comme des momies, pour noircir et s’éteindre dans la poussière et l’oubli.

Combien, pensais-je, chacun de ces volumes, maintenant jeté à l’écart avec tant d’indifférence, a-t-il valu de maux de tête !