petite chapelle, une lampe solitaire jette obliquement sur les traits de cet autre sa lueur tremblotante, tandis que l’on prodigue toutes les splendeurs de l’adoration devant la châsse en renom de quelque père béatifié. Le faux dévot opulent apporte pour sa part de la cire en profusion ; l’ardent zélateur, son chandelier à sept branches ; jusqu’au pèlerin mendiant qui ne croira jamais que le mort soit suffisamment éclairé s’il ne suspend aussi sa petite lampe d’huile fumeuse. Qu’en résulte-t-il ? C’est que dans leur empressement à l’éclairer ils s’exposent souvent à le plonger dans l’ombre ; et j’ai vu de temps à autre un malheureux saint disparaître presque tout entier sous la fumée, grâce au zèle de ses partisans.
C’est précisément ainsi qu’on s’est conduit à l’égard de l’immortel Shakspeare. Chaque écrivain est convaincu qu’il y va de son honneur de mettre en lumière quelque côté de son caractère ou de ses œuvres, et de sauver de l’oubli quelques-uns de ses mérites. Le commentateur, riche en paroles, enfante d’immenses volumes de dissertations ; le vulgaire troupeau des éditeurs fait monter d’obscures vapeurs des notes qu’ils ont placées au bas de chaque page ; et tous ceux qui se trouvent barbouiller du papier apportent en éloges, en recherches, leur chandelle d’un liard[1], pour grossir le nuage d’encens et de fumée.
Comme je respecte tous les usages établis par mes confrères de la plume, j’ai pensé qu’il était bien juste que je fournisse mon denier d’hommage à la mémoire du grand poëte. Toutefois je fus quelque temps cruellement embarrassé pour savoir comment je m’acquitterais de cette tâche. Essayer de donner une nouvelle leçon ? Mais je m’apercevais toujours que j’avais été prévenu ; pas une ligne douteuse qui n’eût été expliquée de douze manières différentes, et torturée de manière à défier tous ceux qui voudraient l’éclaircir ; et quant aux beaux passages, ils avaient été si amplement loués par des admirateurs plus diligents ; que dis-je ? le poëte avait, tout récemment encore, si complètement dis-
- ↑ Le texte dit « rush-light », chandelle de jonc. Alors le bon marché s’explique. Ce sont des morceaux de jonc que l’on trempe dans le suif ; ils s’en imprègnent et brûlent lentement en jetant une clarté pâle. Les classes pauvres, en Angleterre, font grand usage de cet éclairage économique. (Note du traducteur.)