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car de plus beau garçon il n’y en avait pas dans tout le pays d’alentour. »

Malheureusement le fils fut tenté, pendant une année de disette et de fatigues pour le laboureur, d’entrer au service d’une des petites embarcations qui boulinaient sur la rivière prochaine. Il n’avait pas été longtemps dans cet emploi qu’il fut surpris par la presse et emmené sur mer. Ses parents reçurent avis de sa capture, mais ils ne purent rien apprendre de plus. Ils avaient perdu leur principal appui. Le père, qui était infirme déjà, perdit courage, tomba dans la mélancolie, et s’affaissa dans la tombe. Sa veuve, n’ayant plus pour compagnons que son grand âge et sa faiblesse, ne put se soutenir plus longtemps ; elle fut bientôt à la charge de la paroisse. Cependant il y avait pour elle dans tout le village un sentiment de bienveillance, un certain respect provenant de ce qu’elle en était l’un des plus vieux habitants. Comme personne ne se présentait pour occuper la chaumière dans laquelle elle avait passé de si heureux ans, on lui permit d’y rester ; elle y vécut solitaire et presque sans secours. Elle pourvoyait en grande partie aux besoins peu nombreux de la nature grâce au maigre produit de son jardin, que les voisins cultivaient de temps à autre pour elle. C’était quelques jours seulement avant l’époque où ces détails me furent racontés qu’elle était à cueillir quelques légumes pour son repas, quand elle entendit la porte de la chaumière qui faisait face au jardin s’ouvrir tout à coup. Un étranger vint en dehors et sembla jeter autour de lui des regards troublés par la joie. Il portait des habits de matelot ; maigre, affreusement pâle, il avait l’air d’un homme que la maladie, que les fatigues ont brisé. Il la vit et précipita ses pas ; mais sa démarche était débile et vacillante ; il tomba sur les genoux devant elle, et sanglota comme un enfant. La pauvre femme restait là, promenant sur lui des yeux égarés. — « 0 ma mère, ma mère chérie ! ne reconnaissez-vous pas votre fils ? Georges, votre pauvre garçon ! » Ce n’était plus, en effet, que l’ombre de son noble garçon d’autrefois : usé par les blessures, la maladie, l’emprisonnement en pays étranger, il avait à la fin traîné jusqu’au village ses membres épuisés, pour reposer au milieu des scènes de son enfance.

Je n’essayerai pas de raconter dans tous ses détails cette entrevue, où la joie et le chagrin se fondaient si complètement :