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vers une autre partie du cimetière, où je demeurai jusqu’à ce que le convoi funèbre se fût dispersé.

Lorsque je vis la pauvre mère s’éloigner péniblement et à pas alourdis de la tombe, laisser derrière soi les restes de tout ce qu’elle chérissait sur la terre, et retourner à l’isolement et au silence, mon cœur se serra pour elle. Que sont, pensai-je, les angoisses des riches ? Ils ont des amis pour adoucir — des plaisirs pour tromper — un monde pour amuser et dissiper leurs douleurs. Que sont les chagrins de la jeunesse ? Leurs esprits qui grandissent ont bientôt recouvert la blessure ; — leur nature pleine d’élasticité se relève bientôt sous la pression ; — leurs affections neuves et flexibles s’enlacent bientôt à de nouveaux objets. Mais les chagrins du pauvre, qui ne trouve rien au dehors pour les adoucir, — les chagrins du vieillard, pour qui la vie n’est jamais, après tout, qu’une journée d’hiver, et qui n’a pas une nouvelle moisson de joies en perspective ; — les chagrins d’une veuve âgée, solitaire, sans ressources, pleurant sur son fils unique, le seul rayon de soleil de ses vieux ans : voilà, voilà des chagrins qui nous font sentir l’impuissance des consolations.

Il s’écoula quelque temps avant que je quittasse le cimetière. En regagnant le logis, je rencontrai sur mon chemin la femme qui avait joué le rôle de consolatrice ; elle revenait précisément d’accompagner là veuve jusqu’à son habitation solitaire, et je tirai d’elle quelques détails qui se liaient à la scène émouvante dont j’avais été témoin.

Les parents du défunt avaient demeuré dans le village depuis leur enfance. Ils avaient habité l’une des plus jolies chaumières, et par diverses occupations champêtres, à l’aide d’un petit jardin, s’étaient honorablement soutenus dans l’aisance, en menant une vie heureuse et sans tache. Ils n’avaient qu’un fils, qui avait grandi pour être l’appui, l’orgueil de leur vieillesse. — « Oh ! monsieur, disait la bonne femme, c’était un si joli garçon, si doux de caractère, si bon pour tous ceux qui l’entouraient, si docile pour ses parents ! Ça faisait du bien au cœur de le voir, un jour de dimanche, paré de ses plus beaux habits, si grand, si droit, si gai, soutenant sa vieille mère jusqu’à l’église, — car elle aimait toujours mieux s’appuyer sur le bras de Georges que sur celui du bonhomme ; et, pauvre âme, elle pouvait bien être fière de lui,